Tous pour un : Le Real trouve son harmonie offensive dans un système huilé
Après un hiver tumultueux où Ancelotti a joué sa tête, le Real s’est redressé, témoin sa large domination de City en barrage. Sur de longs et multiples temps de jeu placés, les Madridistes déploient une organisation offensive souple et fluide, mais bel et bien organisée autour de principes identifiables et mécanisés, entre le petit jeu et la profondeur, éléments indissociables de son ADN vertical.
48.5. Au-delà du score (5-3 sur les deux matchs), ce pourcentage - celui de la possession madrilène au retour (45,5 à l’aller) - est peut-être le chiffre le plus marquant de la double confrontation dans ce classique européen moderne face aux Citizens.
Si le Real a finalement fait la décision en fin de match à l’aller, après avoir trouvé le moyen d’être mené, il a largement dominé Man City, et aurait dû sceller son succès bien plus tôt, si l’on se fie à la quantité de décalages qu’il a créés par le jeu de position dont nous allons détailler le fonctionnement, finalement assez mécanisé.
Paradigma Chamartín
Vainqueur de quatre Champions’ entre 2014 et 2018 avec l’achiléenne génération CR7 – Ramos, le Real a su se réinventer autour de Vinicius et d’un style plus résiliant, ajoutant deux reliques à son cabinet de trophées en 2022 et 2024. Dans le courage et le panache, mais sans une feuille de route claire, ce Real 2025 a trouvé son style offensif, et il n’est ni celui des années Zidane, ni celui de l’ère Vinicius 1.0
À Madrid plus qu’ailleurs, le football est simple. Si l’on parlait d’une division de l’attaque en trois phases pour le PSG, on se contentera aisément de deux étapes pour le Real. On pourrait les distinguer comme suit : Sortir de la pression adverse, et finir. Précipitant ainsi souvent l’avant-dernière passe (potentielle…) au sein de la première de ces deux phases.
Cette capacité à se contorsionner – individuellement et collectivement – pour trouver des passes verticales qui envoient les joueurs les plus haut à l’attaque frénétique du but adverse, correspond à ce que les Espagnols appellent littéralement "sortir de la pression" (salir de presión). Si la grâce technique, incarnée par (le désormais quadra) Modrić – est un éternel levier pour atteindre cet objectif basique, on va voir que ce Real 2025 (dans lequel Modrić est désormais un personnage secondaire) a bien un chemin tactique vers l’accomplissement de cet objectif.
Et ce avec un rôle bien spécifique pour chacun des 6, et pour Bellingham, désormais fixé en 10 dans ce 4-2-3-1.
Tous pour un
En ligne avec son ADN, le Real a donc pour premier objectif de générer cette liberté (même précaire), qui va permettre de jouer vers l’avant. Et si possible – c’est toujours le plan A - vers la profondeur.
Pour ce faire, la Maison Blanche a pris l’habitude de créer un premier groupe de quatre joueurs, sur l’aile, très proches les uns des autres, dans une position très large.
Cette notion de regroupement latérale était très nette face à City (et perceptible sur les position moyennes ci-dessus) sur les deux manches : le double pivot (Camavinga – Ceballos, puis Tchouameni - Ceballos) avait une considérable mobilité latérale : Dans une sorte de mouvement d’essuie-glace, le 6 côté ballon venait se joindre au latéral côté ballon, sur l’aile, posant une première question à son vis-vis adverse (en l’occurrence De Bruyne – Bernardo) : le suivre ou non ?
Bellingham, comme pouvait le faire Isco en son temps, vient au ballon, et est un candidat supplémentaire pour réaliser cette fameuse passe vers l’avant Modrićesque, ou Iscoêsque.
On distingue ci-dessous, par le mouvement et la communication verbale de Ceballos (32’32’’), la mise en place de ce parti-pris sur le premier « regroupement » à gauche. Sur le second, à droite, Bellingham vient jouer les demi-de-mêlée et libère le ballon.
4e élément décisif de ce quatuor théorique, côté ballon : L’ailier. A gauche, Vinicius, qui s’adosse fréquemment à la ligne de touche, avec la multiplicité d’options qui le caractérise : Attaquer la profondeur à la Barcola ou venir demander dans les pieds à la Neymar.
Avec un arsenal d’angles de passes quasi-illimitée entre le bon pied, le mauvais, l’exter’, ou même une prise de vitesse vers l’intérieur (supplément embarrassement), le super-crack brésilien mobilise forcément plus que le latéral droit adverse, et crée de fait une fixation du bloc ennemi par la nécessité de travailler à plusieurs face à lui.
Mercredi en coupe, il a encore fait étalage de ses aptitudes créatives, si la moindre liberté lui est laissée de jouer vers l’avant. Générer cette possibilité est le sens de ce "regroupement".
3-4-3
Ainsi, plutôt que de diviser les joueurs par lignes, dans l’habituelle segmentation tactique, on pourrait le faire par chacun de ces groupes. Après ce « 4 » (plus ou moins fixe) latéral, on peut en identifier deux autres.
Un premier, composé par la base, avec trois joueurs : les deux centraux et le 6 opposé. Si Ceballos (relayeur gauche) se joint à l’attroupement latéral, Camavinga (6 opposés) se tiendra plus ou moins dans l’axe, en base. Les centraux qui l’accompagnent peuvent bien sûr être amenés à travailler au large. Le 6 opposé va donc servir de relai théorique (dans une angulation complexe pour enchainer…) pour aller chercher Rodrygo à l’opposé ou bien sur Mbappe devant.
Comme vu ci-dessus, le 3e groupe de ce "3-4-3" pourrait être composé des trois joueurs restant, au rôle déterminant :
- Un joueur très large à l’opposé, l’ailier donc, ou le latéral opposé, qui peut aussi être ce fixateur.
On voit le sens de ce placement ci-dessous avec Rodrygo. Il a ici la possibilité de changer de rythme et de prendre la vitesse, mais il peut tout aussi bien réinitier un temps de jeu placé, 20 ou 30 mètres plus haut, en créant à nouveau un essaim de joueurs avec le soutien de Bellingham et du relayeur droit (en l’occurrence Cama).
Regrouper – Renverser (à défaut de lancer)
Adapté au 4-1-4-1 "à tiroir" de City, le Real va manipuler les sorties sporadiques des 8 (De Bruyne et Bernardo) avec ce mécanisme, combiné au soutien de Bellingham, qui va vite décourager toute velléité de pression totale. On peut remarquer sur la toute première séquence plus haut qu’Haaland est totalement désaxé par cette circulation.
On peut identifier "l’attaque placée type" en trois temps ci-dessous, dans un temps de jeu qui pose les bases de la domination du Real en début de match :
Devant, Mbappe se dote d’un large éventail de variations d’appels et de décrochages. Il peut rompre entre les deux centraux, comme partir de plus loin, ou subitement demander dans les pieds. On l’a vu plus haut sur l’action du renversement où il sert de relai avant de toucher Rodrygo.
C’est aussi l’option qu’il privilégie ci-dessous, sur la suite du temps de jeu, servi finalement dans les pieds, alors que Ruben Dias est légitimement très attentif à la profondeur. Le Portugais gagne d’ailleurs son duel, mais le temps de jeu placé se poursuit.
À défaut de trouver la rupture dans le dos de la défense, le Real progresse et continue son travail de sape après un passage par le côté droit :
Sans trouver la faille depuis la droite, le Real repart chez ses centraux. Tchouameni ne tente pas la profondeur directe, ce qui déplait à Mbappe, qui lui fait savoir (le regard noir à 07’24’’sur le gros plan ci-dessus). Le plan n’est pas rigide et fait bien sur part belle à l’improvisation : tout comme les centraux, Mbappe peut rejoindre le "groupe latéral" sur l’aile. C’est ce que le Français fait mine de faire ci-dessus (à 07’29’’), avant d’envoyer un contre-appel assez foudroyant, qui force le Portugais à user de ses bras et fait planer un premier frisson.
Une séquence qui rappelle d’ailleurs le carton reçu par ce même Dias face à Hakimi au Parc des Princes.
La force de l’infériorité numérique
En pointe, face à un bloc médian-haut, Mbappe fait donc régner un stress permanent chez des centraux nécessairement désaxés par le phénomène de congestion décrit plus haut, autour de Vini et de ses collègues de réunion. Ce que le central côté-ballon va apporter en couverture à son latéral, il le perd nécessairement en collaboration avec le central côté-opposé face au Kyks.
La situation ci-dessous est extrêmement complexe à gérer pour Ruben Dias, central côté-ballon, qui doit :
- Rester assez haut pour ne pas trop faire baisser la ligne du hors-jeu (en sachant qu’Mbappe est en jeu en partant de son camp)
- Offrir un minimum de couverture à Akanji si le porteur se lance dans un duel en 1v1, ou lance Vinicius ou Mendy
En théorie, son rôle est d’intercepter la passe en profondeur, alors que le DC opposé doit le couvrir, tout en gardant l’alignement. Mais la capacité des Madridistes à trouver ces angles complexes met le central côté ballon face à un dilemme :
- Prendre le parti d’abandonner son latéral à l’exécution sommaire par Vinicius, en se focalisant sur Mbappe.
- Ou adopter une attitude zonale, à égale distance de Vini (ou Bellingham !) et Mbappe, qui risque tôt ou tard d’être servi de se trouver au duel avec le central opposé (Ake)
D’où une tentation compréhensible, de simplement reculer pour essayer parer à toute éventualité.
Sur cette séquence, Mbappe opère quasiment à 1 contre 5 (en comptant le gardien). Pour autant, il y a clairement un flottement et une utilisation du bras est nécessaire pour Ruben pour lui couper la route.
Cette prudence de l’adversaire, tranchée dans le vif, est explicite sur l’ouverture du score du Real au retour :
Si le rapport de force numérique est souvent convoqué pour évaluer la qualité d’une situation offensive, on voit bien que la supériorité numérique (de la défense) demande aussi une coopération et une coordination, entre les membres du back4, et entre le back4 et le gardien. Et qu’il est peut-être plus naturel de s’organiser face à trois ou quatre attaquants.
Ainsi, et c’est plus ou moins paradoxal : c’est en quelque sorte la solitude de Mbappe qui le rend si difficile à gérer pour le back4 et Ederson. Même si Rodrigo (ou Vini selon le côté ballon) peut bien entendu rompre dans le dos pour troubler encore plus (ou encore moins, on ne sait plus trop…) les défenseurs. Ederson aurait certainement compliqué la tâche au Français en sortant moins. On verra comment Oblak gèrera cette problématique, alors que l’Atleti tachera à coup sur de ne rien offrir dans son dos.
Invité du podcast de John Obi Mikel l’été dernier, Ancelotti évoquait avec des mots assez simples cette idée de largeur fatale pour le back4 adverse :
Interrogé par l’ancien Super Eagle sur le futur positionnement de Mbappe, le technicien italien agrémente sa réponse d’une observation : « Je le vois jouer en pointe, mais la pointe est assez ample : le terrain fait 68m de largeur. »
Les mots de Carletto font écho à cet écartèlement de la défense qui profite à Mbappe, malgré sa solitude, alors que le paradigme madrilène reste indissociable de la brillance individuelle, tout en s’intégrant à un football toujours plus exigeant collectivement et tactiquement.