Manchester City, c’est quoi le problème ?
Fait inédit, le City de Guardiola vient d’enchainer cinq défaites. Privés de leur colonne vertébrale, les Citizens, habituellement intraitables sans ballon, semblent avoir perdu leur assise. Tentative d’explication des enjeux qui les font dangereusement basculer hors du contrôle qui les caractérisait jusqu’alors
Tactique vs décisions
Vainqueur du trophée suprême en 2023, City concluait une campagne exceptionnelle d’un point de vue défensif : un seul but encaissé dans le jeu sur sept matchs d’une phase finale sans répit. Il y a quelques semaines, les skyblues – au complet – faisaient encore étalage de leur solidité en Premier League, ne laissant aux Gunners que des miettes, et ne concédant de véritable décalage que sur un roublard coup franc vite joué, et cédant sur un corner.
Ainsi, le débat strictement tactique ne peut raisonnablement faire sens : les Citizens savent où ils vont défensivement. Avec un coach installé, leurs mécanismes d’adaptation sont forcément rodés, avec quatre couronnes nationales consécutives. Il convient de rappeler, pour bien situer le contexte, au regard de la qualité de résistance au pressing de Maddison et Kulusevski, que Tottenham était 10e avant le coup d’envoi, ce qui situe le niveau d’adversité quotidienne en Premier League.
• Maddison demande le ballon sur son pied gauche
— Victor Lefaucheux (@Premieretouche) November 25, 2024
• Gündoğan prêt à sortir sur le temps de passe (sur sa droite)
• passe arrive (pas prévu) sur le pied droit (le plus proche de Gundo)
il arrive - en controlant vers la pression - à eloigner le cuir de gundo et ne pas le perdre pic.twitter.com/VTE9SxBV10
Ainsi – et surtout face à une équipe polymorphe comme Tottenham – empêcher totalement l’adversaire de sortir de la pression haute est un vœu pieux en PL. C’est littéralement impossible. Il y aura toujours, inéluctablement, quelqu’un face au jeu en face.
Et cet objectif, ou plutôt cette utopie, appartient au registre purement tactique. Que ce soit au milieu ou en défense, les deux points que nous aborderons ici, il convient surtout de savoir gérer les inévitables moments de déséquilibre, et c’est certainement dans ces instants aussi fugaces que décisifs, que City faillit.
Milieu : ce qui manque, en l’absence de Rodri
Comme nous l’indiquions ici avant la finale de 2023, après avoir écarté ses défenseurs créatifs, City s’est orienté vers une formule à quatre centraux. Le milieu défensif complétant un premier groupe de cinq joueurs défensifs, alors que les cinq autres sont tous de purs offensifs.
Rodri (remplacé numériquement par Kovacic, blessé à son tour…) est donc le premier « 1 » du 4-1-4-1, en protection de cinq purs offensifs. Au-delà des multiples adaptations auxquelles City souscrit.
Un rôle bien entendu importantissime, à deux égards : Physique et technique.
Le 6 : efforts et contre-efforts :
City évolue donc dans un univers où l’exigence, toujours plus haute, fait monter les standards de sortie de balle de tous les adversaires, sans parler de l’apport désormais systématique du gardien.
Tous les offensifs sont donc aspirés. Ainsi, la pointe basse doit emboiter le pas, et souvent produire un premier effort vers l’avant, pour aider les attaquants à presser sans être balayés par la qualité adverse.
Une première dépense qui se conjugue à une seconde, bien plus couteuse, vers l’arrière. Lorsque l’adversaire se sort de ce pressing. Un contre-effort vital pour gérer ce que certains appellent « déséquilibre partiel », lorsque le premier rideau de pression est vaincu.
Aligné 6 d’un 4-3-2-1 qui semblait adapté à la structure défensive de Postecoglou, Gündoğan a sombré devant la défense, et particulièrement dans le registre du contre-effort.
On le voit à travers le geste remarquable de Maddison plus haut : face à une telle habilité à sortir de la pression, la défense (de City) se retrouve vite exposée face à un porteur libre de jouer vers l’avant. Pour l’aider à contenir les projections adverses, un 6 capable (ne serait-ce que…) de matcher le tranchant des appels adverse est indispensable.
Largué par l’appel tranchant de Maddison sur le premier but, l’Allemand a été dépassé dans ce registre samedi soir :
En contrôle du remuant relayeur londonien, alors que Drăgușin s’apprête à jouer long sous pression, Gündoğan va - en l’espace de trois secondes - totalement perdre le contrôle de Maddison :
Le scenario va se reproduire dans le calvaire sabbatique de l’ancien culer. La notion de contre-effort est particulièrement criante sur l’occasion de Solanke, qui aurait pu, ou du, porter le score à 3-0.Le scenario va se reproduire dans le calvaire sabbatique de l’ancien culer. La notion de contre-effort est particulièrement criante sur l’occasion de Solanke, qui aurait pu, ou du, porter le score à 3-0.
Alors que Davies darde une passe assassine pour Maddison, et élimine une première ligne, Gündo doit produire un second effort. Il s’en montrera particulièrement incapable, laissant le back4 exposé.
Le 6, Standards techniques :
Avec son style défensif, qui implique un échange fréquent de marquages adverses, à mesure que le bloc avance, les hommes de Guardiola ont la nécessité, à la fois d’être habiles dans le pur duel défensif (qui a vocation à voler le ballon), que dans l’interception (couper une passe) qui est également, en quelque sorte, une prise de balle.
Technique défensive, et toucher de balle, en somme. Et dans ces deux registres, City flanche également trop pour être compétitif, avec Rodri, Kovacic et De Bruyne sur le flanc.
Alors que les adversaires se déforment de plus en plus avec la balle, la limite entre interception et duel est très ténue. D’où la nécessité - surtout pour le 6 - d’opérer avec efficacité dans ces réalisations décisives, pour véritablement transformer la phase défensive en phase offensive, et en danger pour l’adversaire.
Quand on met en perspective ces transitions offensives ratées avec les séquences de Rodri, on en vient à se demander, si ce n’est pas la phase du jeu où le colosse espagnol est le plus indispensable.
Défense : ce qui manque, en l’absence de Dias
Comme évoqué plus haut, après le dur apprentissage de 2022, les Citizens ont basculé dans une autre dimension dans la phase purement défensive, avec un back4 100% défenseurs centraux, dont la coordination et les mécanismes de couvertures semblaient tutoyer la perfection.
On l’avait vu en détaillant ici les mécanismes qui permettaient à City de créer les situations de contre par des récupérations hautes : les défenseurs se montraient particulièrement à l’aise au moment de défendre à la fois l’espace devant et derrière eux.
Ainsi, une valeur émerge, et semble particulièrement recherchée par City : l’alignement.
A very simple, but excellent clip here of Man City practicing Sub-Principles (Defensive Line Principles) from their Game Model.
— King Knight Education (@KingKnightEd) April 1, 2024
Not everything has to reinvent the wheel.
Notice the full back looking down the line to adjust its height.
Look at the age-old principles of play:… pic.twitter.com/WcK6uQAyJL
Un lieu commun souvent mentionné mais rarement défini. Pourquoi s’aligner ?
- Réduire le champ des positions légales par le hors-jeu
- Se situer en position idéale pour défendre autant devant que derrière soi
- Se situer sur la même hauteur (proches les uns des autres) pour se couvrir mutuellement (d’où les quatre centraux)
Ce qui implique de fuir deux écueils : se sur-engager vers l’avant, et se sur-engager vers l’arrière. Face à l’Inter à Istanbul, Dias et Akanji avaient particulièrement excellé dans cette double prérogative. D’ailleurs face à Liverpool, Stones (limite milieu) avait le loisir de défendre vers l’avant, c’était prévu. On le voit avec les consignes de Pep ci-dessus.
Ainsi, au-delà de ces objectifs de jeu, qui appartiennent à la pure « tactique », les joueurs doivent, en fonction d’un certain nombre d’informations, choisir entre plusieurs comportements à adopter. Et parfois sortir de l’alignement et de la consigne.
En théorie, la « règle » veut que la défense avance, du moins s’aligne, si le reste du bloc parvient à limiter le porteur du ballon. A contrario, qu’elle se tienne prête à se déformer pour contrôler les courses, si la source est en capacité de jouer vers l’avant. Ce qui implique d’avoir la bonne orientation.
Mais à ce niveau, la marge est très fine entre la chose à faire en théorie, et un désastre.
Et nécessite donc une interprétation fine de ladite « règle » de la part du joueur.
À cet égard, les Citizens multiplient (en l’absence de Dias…) une erreur de jugement fatale : ils reculent excessivement (et surtout : trop tôt) lorsque l’adversaire est « quasi » capable de jouer vers l’avant, et ce « quasi » est à très dur à définir.
Cette erreur de jugement se paye en bloc médian/haut par la création d’espace entre les lignes, on le voit bien ici :
La défaite à Brighton, et son rugbystique 3-1-6, porte également le sceau de ce recul prématuré.
Mais au-delà de cette prudence légèrement (mais fatalement) excessive en bloc médian-haut, c’est en bloc bas que ce recul est crucialement critique. C’est le cas sur l’ouverture du score de Maddison. Stones recule par prudence, mais trop tôt.
La gestion de Stones et Akanji est désastreuse pour City : Non seulement ils se sont privés de la possibilité de créer un hors-jeu, mais leur orientation (celle de Stones ici) les empêche d’épouser la course de Maddison, et de contrôler cet espace.
C’est le genre de situation où la gestion de Ruben Dias fait la différence. On le voit ci-dessous face au PSG :
C’est aussi criant au moment de gérer ces appels de Benzema puis de Lukaku. Le Portugais sait quand se figer pour jouer l’interception (ou le hors-jeu), et il reste dynamique pour ne pas subir cette passe assassine ave laquelle Kulusevski électrocute Stones ci-dessus.
Tactique moins praxis = déséquilibre
En défense, comme en attaque, tout est affaire de parti-pris. Les équipes développent des habitudes, priorisent des comportements, et se coordonnent sur une certaine façon de hiérarchiser les priorités. Reculer, se retourner, s’aligner, sont des décisions instantanées qui dépendent d’une interprétation tout aussi instantanée de situations complexes. C’est là toute la délicatesse de la tâche pour l’entraineur, dans une dynamique négative : il doit donner, plus qu’une direction, une priorité, et des clés pour permettre aux joueurs d’interpréter les situations. Mais c’est bien à eux de le faire, et parfois de façon contre-intuitive.
La zone de turbulence traversée par City, qui n’a eu de cesse de customiser son modèle défensif, avec un travail théorique intense, nous confronte à une vérité incontestable lorsqu’on parle de système, de tactique, et même de micro-tactique :
Si le jeu appartient aux joueurs d’un point de vue créatif, il leur appartient aussi d’un point de vue défensif. Même avec la meilleure organisation du monde, ces décisions seront toujours le point de bascule entre équilibre et déséquilibre.
🔵❗️ Pep Guardiola tells Ziggo: “Just give me my players back… you will see!”.
— Fabrizio Romano (@FabrizioRomano) November 26, 2024
“It's difficult when you have to play without 4 central defenders, 2 holding midfielders, the best player in the world Rodri out, 3 wingers out, just give me my players back… you’ll see Man City!”. pic.twitter.com/D4ZOCiiP3g
Orphelins du volume et de la propreté de Rodri, comme de celle de Kovacic et de De Bruyne, les Citizens ont perdu leur équilibre lors des moments verticaux. Sans leur patron derrière, ils peinent à protéger leur but et à rester haut.
Dimanche, ils retournent à Anfield, face à l’équipe la plus en forme d’Europe. Une équipe extrêmement verticale, asymétrique, face à laquelle, plus que jamais, conserver – malgré la menace - une structure pour bien défendre tous les espaces, sera primordial. Car à ce niveau, le danger (apparent) est partout. Et tout est question de lecture.