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Analyse Football

Bournemouth - la terreur des grands clubs : Décryptage de la recette d'Iraola

victor

Avec 10 points sur 15 pris face aux cinq premiers de la saison 2024, le Bournemouth d’Iraola (6e) se distingue en Premier League, et s’érige comme le poil à gratter officiel des grosses cylindrées du Royaume. À quelques heures d'un déplacement à Old Trafford, analysons le système défensif très original des Cherries.

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Les Cherries semblent avoir trouvé la recette face aux gros clubs de Premier League © IMAGO / Offside Sports Photography

Arrière droit de Bielsa lors de l’épopée 2012 de l’Athletic Bilbao (finaliste de l’Europa League, en battant deux fois Man United), Iraola a été naturellement abreuvé de marquage individuel par le légendaire technicien argentin.

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Un parti-pris très présent dans son animation défensive. L’approche du coach Iraola ressemble à une adaptation moderne et plus flexible du rigide et inamovible "-1 / +1" de Bielsa, qui laissait quasi-systématiquement dans les mêmes proportions (un joueur de plus) l’avantage numérique à l’adversaire dans ses sorties de balle (voir Llorente à 1 contre 2 ci-dessous), qu’il ne se le garantissait de l’autre côté du terrain (on voit que l’Athletic a un défenseur supplémentaire) pour contrôler la profondeur et assurer les couvertures.

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Exemple d’un schéma de pressing de Bielsa avec l’Athletic Bilbao face au Barça. L’adaptation au schéma adverse est préférée à la conservation d’une structure. On retrouve Iraola arrière droit. Source : Jmfootball

Par le fait de Bielsa ou non, le coach basque reste imbibé de cette dimension. L’élément de langage « duel winners » revient d’ailleurs très souvent dans ses conférences de presse.

On l’a vu avec Man City et ses déboires défensifs face à Tottenham : créer un surnombre, même sur un espace très comprimé est un enjeu-clé pour créer un premier décalage. City l’a également appris à ses dépens : dans les top-matchs de Premier League, assumer même un léger sous-nombre dans ces espaces, est un risque extrêmement périlleux, sous peine d’être déséquilibré, puis de voir sa dernière ligne prise d’assaut par des joueurs prenant de la vitesse.

Avec un modèle défensif aussi flexible qu’iconoclaste, Iraola fait en sorte d’éviter cette situation (de sous-nombre), tout en gardant les vertus agressives du marquage individuel, et des duels. D’une façon ou d’une autre, il va chercher à créer une pression "totale" sur la première relance, sans laisser à l’adversaire la possibilité de créer une véritable et confortable liberté face au jeu.

Face à Arsenal, Villa, City et Tottenham, les Cherries ont pris dix points, et à chaque fois, ils ont fait dérailler la phase offensive de leur adversaire. En observant la façon de défendre de Bournemouth sur ces quatre matchs, on distingue quatre schémas totalement distincts, au-delà du simple "calque" de l’adversaire. Selon ce qu’il identifie, Iraola va mettre plus ou moins de pression sur telle ou telle zone du terrain, et la façon d’échanger (ou non !) les marquages ne sera pas la même.

Face à Arsenal : un 4-0-4-2 total et difforme

Un mouvement typique d’Arsenal consiste à surcharger le cœur du jeu, via un latéral qui se joint à l’un des membres du double pivot, l’autre milieu défensif montant d’un cran, créant de fait plusieurs hauteurs de passe pour le gardien ou le premier relanceur. Avec des attaquants mobiles et décrocheurs, les Gunners se retrouvent souvent avec un cœur du jeu ultra fourni (quatre ou cinq joueurs, qui sont autant de cibles pour Raya et les centraux), tout en gardant deux flèches (habituellement Saka et Martinelli) prêtes à fondre vers le but.

Un échelonnement efficace, qui rompt ici, par le jeu court, le pressing haut de City :

3 - calafiori inside v city
Calafiori se joint à Rice et Partey, alors que les deux attaquants sont également très bas. Arsenal n’hésite pas à passer par l’axe du terrain, qu’ils surchargent

Et qui déséquilibre ici Liverpool, un des innombrables buts venus d’une course profonde, parti d’une position haute et excentrée :

4 - saka goal v liverpool
En plus des nombreuses solutions au cœur du jeu, les Gunners savent jouer direct. Les centraux adverses sont face à un dilemme entre suivre les décrochages, et couvrir la profondeur

Comme on le voit avec Van Dijk (attentif à Havertz) ci-dessus, les Gunners ont l’habitude de forcer les défenseurs centraux adverses à sortir, avant de trouver le bon timing pour envoyer Saka ou Martinelli attaquer le but, en partant de très loin, et de très large. Laissant ainsi leur adversaire face à un dilemme, entre se déformer, et laisser aux Gunners la possibilité de créer un surnombre à l’intérieur du jeu.

5 - pacho marquinhos vs arsenal
Marquinhos et Pacho sont confrontés à un dilemme avec les « multiples faux 9 » des Gunners. On voit qu’ils envisagent de rejoindre le milieu, avant d’être pris à revers dans leur dos, Donnaruma frôle le carton rouge

À la lumière de cette brève introduction à "l’Artetaismo", on comprend mieux les ajustements iconoclastes d’Iraola face à Arsenal. Le Basque va envoyer sans mesure ses deux milieux les plus défensifs sur le double pivot (très bas, donc) des Gunners, quitte à laisser un trou béant devant sa défense.

C’était très clair dans la funeste première période des Gunners au Vitality Stadium : l’approche offensive gunner n’a pas fonctionné face aux marquages bizarroïdes du Bournemouth d’Iraola :

6 - 0421 high press bourne
Le 4-0-4-2 de Bournemouth serre fort sur le cœur du jeu chargé des Gunners, (Calafiori vient se positionner comme un milieu défensif) empêchés de générer une véritable supériorité numérique.
7 - high press bournemouth schema 1
Iraola n’hésite pas à envoyer ses deux milieux de terrains les plus défensifs sur le double pivot adverse. On le comprend ici, si Merino décroche, les défenseurs de Bournemouth vont devoir faire un choix radical
8 - 1215 press bournemouth
On voit, un peu plus tard, le rôle de Evanilson, qui "coupe le terrain en deux" et isole Saliba. À nouveau, Scott et Cook s’engagent individuellement au cœur du jeu. Le décrochage de Merino (10) nécessite une réponse. Ici, c’est l’ailier opposé qui resserre et le récupère. Cook, en même temps qu’il suit Rice, est en train de communiquer…
9 - 1218 a
Il ordonne à sa défense qu’on prenne en charge le marquage de Trossard (ailier gauche) qui vient lui aussi se joindre à ce milieu densifié. Le Belge est traqué par… le central droit de Bournemouth
10 - décalage saliba
Iraola répond efficacement, à la fois au mouvement et à la surcharge de l’axe des Gunners. Pour autant, la situation est touchy : Havertz et Sterling sont prêts à piquer en profondeur, et il n’y a plus de milieu pour marquer Mikel Merino…
11 - 1220
… C’est l’autre central, l’Argentin Senesi qui sort annuler l’option Merino. Les deux centraux des Cherries sont dans le camp adverse, et tout le contrôle de la profondeur repose sur les latéraux !
12 - high press touchy bournemouth
On aperçoit autour de 12’20’’ les deux centraux dans le camp adverse, avec les deux latéraux Kerkez et Araujo en charge de contenir Sterling et Havertz, prêts à filer vers le but

Le temps de "contention" de la profondeur, lorsque Saliba est face au jeu, est déterminant. Les défenseurs (les deux latéraux, donc) ne tentent pas de s’aligner au petit bonheur la chance, et contiennent les appels de Sterling et Havertz.

13 - saliba libre

On voit aussi que Semenyo, tout en gérant Ben White, fait le maximum pour rester entre le ballon et le but, alors que Saliba est face au jeu. C’est là toute la force du système défensif de Iraola : on défend aussi bien les espaces que les hommes. Tout en ayant une excellente connaissance de l’adversaire. Ce style iconoclaste annule le jeu mi-long des Gunners, et les pousse à la faute, dès la 16e minute :

14 - high press bourne ars

Le pressing "homme pour homme" paye. Il est intéressant de voir que Cook, qui a pour référent Partey ici, se soucie également de la balle, et de la gestuelle/l’orientation de Raya, tout comme Evanilson, qui dissuade la passe chez Partey. Cook reste également orienté pour aller presser Partey, et il attend le dernier moment pour jaillir et couper la passe (forcée) de Raya pour Merino.

Des schémas de pressing qui ont d’ailleurs fait mouche, il y a trois semaines, face à Wolverhampton, mettant en lumière le rôle d’Evanilson, qui "coupe le terrain en deux", avant de charger le gardien pour lui chiper le ballon, glanant ainsi deux penaltys. Alors que le back4 se déforme pour annuler le jeu entre les lignes comme on vient de le voir.

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À deux reprises, on retrouve Evanilson en charge de la relation gardien – central opposé, alors que toutes les solutions courtes (et longues…) sont bloquées

Un marquage intelligent, des échanges fluides

Face à City, les mêmes ingrédients produisent le même rendu : le pressing de Bournemouth leur rapporte deux énormes occasions dans les cinq premières minutes, au cœur d’une manne de récupération hautes. À la base, le double pivot [Christie – Cook] a pour référence [Gündoğan – Bernardo] alignés devant Kovacic. Avec Kluivert (second attaquant) sur Kovacic (6), l’idée est de calquer le cœur du jeu adverse.

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Les marquages (théoriques) de Bournemouth face à City

Un mouvement d’essuie-glace (mimé ci-dessous par Iraola) des ailiers doit garantir une absence de solutions courtes autour de la balle :

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Naturellement, on a vu City se dépatouiller plus d’une fois de ce genre d’animation défensive. Les Skyblues s’organisent pour mettre la pagaille dans les marquages de Bournemouth. Et c’est la capacité des Cherries à les échanger avec fluidité qui va impressionner. On est très loin du simple "chacun son joueur".

En positionnant Foden (ailier droit) comme un 10 dans la même zone (voir ci-dessous), Guardiola compte forcer le latéral Kerkez à déserter sa zone, en tablant sur Walker pour l’attaquer.

Difficile à montrer avec l’angle ultra-serré de la champêtre antre des Cherries, mais la coordination avec laquelle ils vont gérer les mouvements de City est remarquable.

Foden vient mobiliser Christie, qui doit en théorie gérer Bernardo, mais Tavernier (ailier) vient vite le soulager. Walker (apparemment) libre, n’est pas servi non-plus. Hors-champ, Kerkez (qui doit en théorie s’occuper de Foden) se tient déjà prêt à jaillir sur Walker. On le voit furtivement sur le plan large.

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Christie est mis en difficulté par l’apport de Foden au cœur du jeu, Tavernier vient l’aider, récupère son joueur, alors que Kerkez annule Walker, comme on le voit sur le plan large ci-dessous
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Guardiola dira en après-match que City n’avait « pas pu matcher l’intensité de Bournemouth ». Au-delà de l’aspect théorique, on peut apprécier la détermination avec laquelle Tavernier traque Walker avant la talonnade de Bernardo. Avant de produire un contre-effort pour annuler Bernardo (et même Walker, en se mettant furtivement sur la ligne de passe), poussant ainsi Ake à la faute. Unité de pensée et don de soi.

Au-delà du travail théorique du tacticien, on peut saluer à la fois la poigne et le doigté managérial nécessaire pour obtenir une telle implication et une telle connexion. Et à la qualité de cette pression, on peut ajouter une utilisation très bien rodée du jeu long depuis le gardien. Non-pas pour attaquer, mais pour réappliquer immédiatement cette pression, avec la même finesse et la même efficacité. C’est cette compétence collective qui précipite le rouge de Saliba, dès la demi-heure face aux Gunners.

20 - bournemouth rouge saliba
Arsenal d’abord mis sous pression par le 4-0-4-2 sur mesure, puis piégé par le contre-pressing après le jeu long. On peut apprécier l’intelligence de Araujo, qui fait en sorte de ne pas perdre le ballon dans une zone dangereuse, avant que le cœur du jeu (et la défense !) ne s’organisent pour annuler toutes les solutions des Gunners à la retombée
21 - trossard erreur provoquée
Kepa joue long vers Araujo. Le latéral fait en sorte de prolonger le ballon, sans le rendre aux Gunners. Calafiori est au 2e ballon, mais Bournemouth s’est organisé en amont pour anihiler les possibilités adverses, avec les vertus défensives décrites plus haut. Havertz est mis hors-jeu et les milieux sont pris par les marquages (préventifs donc) l’Italien ne peut jouer que dans les pieds chez Trossard. Sous pression, le Belge panique et joue un ballon fatal en retrait

Forcer l’adversaire à mal jouer

Dans un style comparable à l’Atalanta de Gasperini, Iraola déchaine les enfers au moment de chasser le cuir, avec un habile mélange de principes de défense en zone et de marquage individuel. Un ensemble complexe bien assimilé par les joueurs. Forcément, si l’adversaire se montre capable d’utiliser à bon escient le jeu direct, il peut déséquilibrer les Cherries. À cet égard, le contenu face à Villa est peut-être un peu moins flatteur, même si c’est dans une certaine précarité que les Villains ont obtenu les nombreuses situations de tir – certes avec un bien maigre temps d’avance – qu’ils se sont créés.

22 - villa long v bou

Au-delà de ce qu’il développe défensivement, Iraola fait également étalage de principes offensifs riches et dynamiques, dont le succès face à City porte le sceau. Bournemouth est également redoutable sur coups de pieds arrêtés. Assez pour permettre à Bournemouth (6e), de s’extirper du ventre pas vraiment mou de l’exigeante Premier League, et ainsi faire de son coach, après une expérience réussie au Rayo Vallecano, un technicien annoncé, et possiblement destiné à avoir voix au chapitre un cran plus haut…

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