L'enthousiasme retrouvé de la Mannschaft
Oubliées les prestations hâves, fades et sans âme de la fin de l'ère Löw. L'équipe nationale allemande a retrouvé de l'envie, de la fraîcheur et du tonus. Un faisceau d'éléments explique ce regain de forme et permet au sélectionneur et au pays de regarder avec optimisme en direction du Mondial 2026.
Elle était, naguère, moquée par les Allemands comme simulacre de compétition et énième avatar d'un football entripaillé jusqu'à la nausée. Mais, dans la foulée d'un Euro 2024 à l'occasion duquel la Mannschaft a rivalisé avec le futur vainqueur et retrouvé une part de son identité et un certain attrait pour son propre football, la Ligue des nations fait soudain sens pour ce pays aux quatre Coupes du monde. Laboratoire des expériences du sélectionneur – alors que l'Euro, lui, était une mission en soi –, elle permet à l'Allemagne de se préparer avec appétit au Mondial qui vient. Pour les Allemands, c'est une découverte. Pour les joueurs, c'est pain béni. Les signes ne trompent pas : hormis Bernd Leno, personne ne rechigne, personne ne traîne son âme en peine, personne ne se cache, aucun fantôme n'erre sur le terrain. Démantibulée 7-0 à Fribourg samedi, la Bosnie-Herzégovine vient d'en faire l'expérience.
Un triple miracle s'est même produit : l'Allemagne a trouvé un avant-centre. Puis une doublure à celui-ci. Puis un troisième. Eu égard à la morne plaine de la fin de l'époque Löw, avec des groupes sans aucun attaquant de pointe au sein desquels errait Thomas Müller comme un vulgaire ersatz contre nature de fond de rayon d'épicerie est-allemande, le grand écart est extrême. Point d'Erling Haaland ou d'Harry Kane, assurément, mais, avec Tim Kleindienst, Deniz Undav et Niclas Füllkrug, trois buteurs à l'appétit de charogne et à la mentalité exemplaire, à qui rien n'est dû, qui mesurent tous trois la signification quasi divine, c'est-à-dire normale, d'une convocation en équipe nationale, surtout au regard de leur parcours – Cottbus, Brighton ou Fürth, entre autres bourgades grisâtres. Un fait qui en contient deux : la Mannschaft a faim, et la Mannschaft a retrouvé de la concurrence en interne. Une perspective radicalement décisive pour renouer avec son âme et, partant de là, pour performer.
Musiala, Havertz et Wirtz, trio magique
« Habituellement, à cette période de l'année, une équipe qui mène 2-0 ou 3-0 lève le pied », observe Thomas Wagner, consultant pour Sky Allemagne. « Je trouve que ce changement de paradigme est ce que Julian Nagelsmann a réussi de plus fort : tout le monde répond à sa convocation avec appétit et la concurrence est grande. Et quand tu vois Musiala, Havertz et Wirtz évoluer ensemble... C'est extraordinaire. » Et le cœur des supporters bat la chamade. « Plusieurs fois, j'ai entendu joueurs ou staff dire ‘cette année, on prend la Ligue des nations au sérieux’ et j'ai la sensation que c'est ce qu'ils font, que ce soit pour prolonger les bonnes ondes de l'Euro ou pour franchir un nouveau palier », abonde Wolff Fuss, commentateur pour Sky Allemagne. « Ils n'arrêtent jamais d'attaquer, ils n'arrêtent jamais tout court, ils ont de l'appétit du début à la fin, c'est spectaculaire, et, couplé à la qualité individuelle de certains éléments, ça donne envie de regarder. Quand bien même la Bosnie-Herzégovine serait 73e du classement mondial, ce 7-0 n'est pas ordinaire. » Et peut s'inscrire dans un cercle vertueux, la victoire appelant la victoire.
Surtout que la génération actuelle est tout sauf repue, en particulier en équipe nationale, à l'image du capitaine Joshua Kimmich. « En ce sens, la Ligue des nations peut constituer un marchepied naturel pour des objectifs continentaux ou intercontinentaux plus élevés », esquisse Wolff Fuss. D'autant qu'à tous les postes, la concurrence s'est aiguisée et que chacun peut se sentir éperonné. À Pascal Gross et Robert Andrich peuvent répondre Aleksandar Pavlovic et Angelo Stiller, pour n'évoquer que le secteur défensif du milieu de terrain. Même mayonnaise dans les buts, avec une saine émulation entre Baumann, Nübel, Blaswich ou Ortega en attendant que ter Stegen se manifeste de nouveau. Partout, des solutions alternatives existent. Et depuis le départ de Kroos, Gündogan, Müller ou Neuer, Wirtz, Havertz et Musiala sont appelés à des responsabilités accrues et répondent à cette mission avec pertinence tant les trois, ces derniers temps, ont étoffé leur panoplie, à l'image du dernier cité, qui n'en finit plus de marquer de la tête.
Bon vieux 4-2-3-1 des familles
« Nous voulons nous assurer la première place du groupe dès le match à Fribourg, devant nos supporters », avait formulé le sélectionneur avant la démonstration face à la Bosnie-Herzégovine. Un vœu qui peut sembler dérisoire, ou peu ambitieux, qui est pourtant révélateur de l'atmosphère positive de la séquence et de l'attraction retrouvée d'une équipe dont le public s'était ostensiblement distancié. « L'accès au Final Four de l'an prochain, qui serait pour nous une première, est pour nous une importante étape intermédiaire dans la perspective du Mondial », poursuivait Julian Nagelsmann.
2024 restera, elle, comme une année-tournant. Des tribunes au terrain, des pelouses aux bureaux, des experts aux téléspectateurs, l'enthousiasme ruisselle. Il y a exactement un an, défaite par la Turquie (2-3) et par l'Autriche (0-2), la Mannschaft était encore percluse de doutes. Son sélectionneur a dû manoeuvrer. Rappel de Kroos, débarquement de Goretzka, intégration de Leweling, Beier, Burkardt ou Mittelstädt, rationalisation de la tactique en bon vieux 4-2-3-1 des familles. « Chacun sait ce qu'il a à faire », loue Joshua Kimmich, séduit. « C'est assurément à mettre au crédit du sélectionneur. » Et c'est facteur de confiance, si cruciale à haut niveau. Résultat, aucune défaite, à l'exception de douloureuses prolongations contre le futur champion d'Europe, au printemps. L'Espagne, d'ailleurs, a remporté la Ligue des nations avant de s'imposer dans les plus grands tournois. Un signe, sans doute, qui renforcera la conviction de Julian Nagelsmann dans sa quête de trophées.