Juventus : Pourquoi Thiago Motta n’y arrive pas ?
Entraineur annoncé, après avoir mené Bologne à la C1, dans un style offensif remarquable, Thiago Motta est en difficulté à la Juve, qui enchaine les matchs nuls et peine à rester au contact du top4 en Serie A. Si l’Italo-Brésilien est parvenu à implémenter le style offensif qui le caractérise dans le Piémont, c’est sans le cuir que sa formation touche ses limites. Les Turinois ne défendent tout simplement pas assez bien pour gagner
Tout va vite dans le football : l’été dernier, l’ombre de Motta planait sur l’Euro. En termes d’idée de jeu – avec toute la dimension dynamique et « rotationnelle » (à l’image de la Nati) de certaines animations offensives, ou tout simplement par la quantité de joueurs passés sous ses ordres qui ont brillé pendant le tournoi. En Émilie-Romagne, Motta a réalisé un travail éclatant avec les Calafiori, Aebischer, Ndoye, Freuler et autre Zirkzee, dans un style tout en mouvement, avec une véritable dimension esthétique.
Alors que la Juve voulait se doter cet été d’un technicien plus esthète et moins cynique qu’Allegri, le mariage semblait faire sens. D’ailleurs, la bolognaise a pris dans un premier temps : les Turinois ont commencé par 3 succès, et n’ont encaissé leur premier but qu’à la 7e journée. À San Siro, la Juve a fait trembler l’Inter, et aurait largement pu s’imposer, lors d’un superbe 4-4.
Puis la dynamique s’est peu à peu inversée, alors que la Vielle Dame enchaine les nuls et se trouve peu à peu distancée par un groupetto à haute cadence, emmenée par le Napoli, l’Inter et l’Atalanta, et suivi de près par la Lazio. A 14 points du leader parthénopéen à mi-saison, la Juve se trouve dans une situation paradoxale : Elle est larguée de la course au titre, tout en étant invaincue en championnat.
Avec ballon, on l’a vu lors de certains succès européens, on retrouve ce fameux style Motta, tout en mouvement. Si Vlahovic a sombré, Kenan Yildiz brille, tout comme Conceição fils, et Locatelli est également rayonnant dans la salle des machines.
Avec une animation offensive qui fonctionne, et des créatifs en verve, la Juve ne perd jamais, tout en étant incapable d’enchainer les succès : il y a forcément un problème dans sa façon de défendre.
Comment défend la Juve ?
On avait pu s’en apercevoir en voyant les Turinois à l’œuvre face à l’inter d’Inzaghi : Motta croit beaucoup plus dans la dimension pro-active du marquage individuel que dans une approche zonale, plus passive et structurée.
Lorsqu’on observe au cœur du jeu les Locatelli, Thuram ou McKennie lors des longs (on va y revenir) temps de jeu défensifs, on voit qu’ils font le choix net de prendre chacun un repère individuel clair, en général les relais les plus créatifs adverses.
Cette approche a beaucoup d’avantages, et notamment de tuer (en théorie !) le fameux jeu entre les lignes, au détriment d’une certaine structure. Pour autant, la Juve n’est pas totalement calquée sur l’adversaire, et tente de garder une structure défensive, le 4231. Ainsi, sur l’image ci-dessus, Rico Lewis (latéral) est lâché par F. Conceição (en théorie son adversaire direct), qui resserre sur Gvardiol, central gauche, pour former un bloc compact latéralement. L’enjeu est le même pour tous les entraineurs au moment de définir des partis-pris pour défendre : il faut essayer de trouver l’équilibre entre ce qu’on choisit et ce à quoi on renonce. Motta veut bénéficier de la dimension « active » du marquage, tout en gardant une structure compacte en fonction de la position de la balle, et tout en protégeant la cage.
Autre enjeu de cette animation défensive, et c’est certainement là le plus décisif dans les limites actuelles de la Juve : défendre d’une façon qui permette de récupérer des ballons utilisables en contre-attaque. Et, enjeu plus pivotal encore : ne pas reperdre le ballon après l’avoir (trop partiellement) récupéré, dans des circonstances précaires. Trois enjeux au cœur des incapacités Turinoises cette saison.
Pour poser les choses trivialement : La Juve ne gagne pas assez de matchs. Lorsqu’elle ne concède pas, elle ne marque pas, et lorsqu’elle marque, elle finit trop souvent par concéder. Elle défend souvent bien (Milan n’a pas tiré avant la 44e minute par exemple en super coupe), mais sa défense ne lui permet pas de contre-attaquer. Et cela la fait souvent, finalement, concéder.
Cadrer ou intervenir ? L’impatience se paye cher
Problème majeur dans cette animation défensive basée sur les duels : les Turinois sont impatients. Comme nous l’avions vu en étudiant le jeu de contre-attaque de Man City, une interception propre est bien plus bénéfique qu’un ballon arraché lors d’un duel pour mener une contre-attaque intéressante.
Nécessairement, cet état de fait implique de la part de l’équipe qui défend de parfois retarder son intervention pour en attendre une autre, plus prometteuse. En se contentant de limiter le porteur du ballon, pour l’orienter, patiemment, vers une passe fatale, ou une prise à deux. L’égalisation de Monza est l’illustration de l’incapacité des Turinois à recruter cette patience, nécessaire, même dans une animation défensive orientée sur l’homme, et le duel. Alors que Monza part en contre-attaque, Koopmeiners (en position de latéral) intercepte (presque !) un renversement un peu raté, dont il est surpris par la trajectoire.
Le Hollandais est devancé par son adversaire, qui est tout de même dos au but. Il essaie quand même d’abord de passer son épaule, puis de « piocher » avec sa jambe gauche, et fait faute, alors que la Juve avait l’opportunité de patiemment faire reculer son adversaire.
Une séquence qui fait inversement écho à la patience de Nathan Ake, dans l’action que nous avions isolée sur Man City face à Liverpool :
Pis, les Turinois vont quand même parvenir à faire reculer leur adversaire, et refaire preuve d’impatience : quand le gardien dégage sous pression, Mc Kennie n’essaye pas seulement gérer le contre-attaquant : il veut directement, sur son contrôle porte-manteau, remettre le ballon au sol, pour permettre à la Juve de contre-attaquer.
Mal lui en prend : alors que Nico arrive pour la prise à deux, l’Américain « pioche » dans la précipitation, et rend le ballon à l’adversaire.
Par impatience, et en voulant chipper le ballon immédiatement, les Turinois, non seulement ne le récupèrent pas, mais mettent leur adversaire face au jeu.
Gestion des centres : l’homme, le but, et le cuir
Derrière, alors que Monza va créer le décalage, en utilisant largeur de son 3-5-2, la Juve se fait punir au second poteau, dans un schéma qui se répète.
Lorsque le centre part, Kalulu va faire une erreur que la Juve multiplie : une confusion entre le repère individuel et la protection du but. Focalisé sur son adversaire direct, le Français n’anticipe pas qu’il va lui griller la politesse et reprendre ce ballon d’une position qui l’exclut de l’axe ballon-but. La volée puissante fait mouche, et la Juve craque sur un temps de jeu défensif d’une très faible facture.
Un but qui fait écho à celui encaissé face à Venise. On voit clairement Thuram, puis Koopmeiners « rentrer » dans la défense pour le besoin du suivi de leur adversaire direct, comme plus haut face à City.
Problème : un simple dédoublement sur l’aile va perturber Yildiz, qui ne sait pas où se placer, et lâche le marquage du piston, alors que Danilo (latéral) garde celui de l’ailier.
Changement de marquage et rôle de la ligne défensive
L’un des avantages théoriques de la défense mixte est d’avoir un milieu de terrain en individuelle (qui annule les premiers relais), tout en ayant une défense en zone, qui avance, et ferme le bloc, plutôt que de se soumettre aux appels verticaux de l’adversaire. Bien exécutée, cette formule est redoutable. On l’avait vu face à l’Inter, la Juve avait manqué de peu d’ouvrir le score en exécutant cette double prérogative.
Mais les adversaires, rodés, font tous – dans des styles différents – en sorte de perturber cette mécanique. Le problème structurel que Motta n’a pas résolu : comment gérer un défenseur ou un milieu qui sort de l’espace où il doit être pris en charge par son référent juventino ? C’est (en plus de l’impatience vue plus haut) la problématique centrale de l’égalisation milaniste en super coupe.
Bien bloqué pendant une heure, les rouge et noir ne déclenchent qu’une frappe, forcée, juste avant la mi-temps. Organisés en 4-3-3, les Milanistes sont pris haut par la Juve : Loca telli et Thuram s’échangent les milieux, et reçoivent l’aide de Kalulu / Gatti quand nécessaire :
Mais les changements de Conceição, du 4-3-3 au 4-2-4 vont perturber les marquages turinois de façon fatale.
Le Portugais associe Abraham à Morata devant, et Theo Hernandez envoie une course qui attaque la défense de la Juve. Les Turinois se trouvent incapables de gérer cette verticalité, et vont finalement concéder un penalty :
Le mouvement intérieur de Pulisic (ailier droit) n’est pas suivi par le latéral Cambiaso. Pour autant, l’Américain est récupéré par Locatelli. Alors qu’il est dos au but, sur un ballon qui n’appartient à personne, l’Italien ne fait pas le deuil de la contre-attaque, et intervient impatiemment : Rigore, et défaite de la Juve, qui maitrisait pourtant son sujet.
Subtilité défensive : concepts zonaux et individuels
On retrouve cette confusion, entre les milieux qui doivent reculer, et les défenseurs qui doivent avancer, sur le but de l’ancien protégé de Motta Dan Ndoye.
Un autre avantage théorique de cette approche mixte (on l’a vu plus haut avec Gatti face à Grealish) : le mouvement des défenseurs qui avancent pour gérer les décrochages, ou prendre un joueur intérieur se combine avec l’avancée (zonale) de la défense, qui joue le hors-jeu.
On voit bien (ci-dessous) sur ce mouvement que Kalulu est dans l’approche marquage, alors que Locatelli va lâcher la course de Ndoye, pensant que la partie « zone » de la défense va prendre le relai. Mal lui en prend : le porteur masque ses intentions, et Ndoye fuit le champ de vision de Locatelli pour attaquer l’espace délaissé par Kalulu.
En rémission ? Solides à Bergame
Les blessures de Cabal et surtout Bremer ont certainement pesé lourd dans l’inversion de la dynamique turinoise, mais il y a tout de même de nombreux motifs d’optimisme, comme le succès face à City, ou la prestation à San Siro face à l’Inter.
Quand on regarde globalement ce que la Juve produit, le projet est en place, et les matchs sont majoritairement maitrisés. C’est lorsqu’on zoom sur les moments de déséquilibres, comme nous l’avons fait dans cet article, qu’on découvre des standards insuffisants d’un point de vue défensif.
Alors que la Vieille Dame vient d’attaquer un enchainement intense [Atalanta – Milan – Bruges – Naples – Benfica], il est évident que le groupe est connecté et uni derrière les idées de son entraineur.
À Bergame, les Turinois se sont comportés avec beaucoup de prudence et de sérieux, dans un bloc assez bas, pour laisser 60% de la possession à leurs adversaires. Ils ont finalement craqué sur un centre qui fait écho aux buts encaissés face à Venise et Monza, mais l’ensemble semblait plus cohérent, et les cadrages plus patients.
Face au nouveau Milan de Conceição père, les hommes de Motta auront l’occasion d’éprouver leur solidité défensive, un prérequis indispensable pour faire vivre les riches idées offensives du prometteur coach italien.