Julian Schuster, successeur bluffant à Fribourg
Après une bonne douzaine d'années de mandat d'un Christian Streich devenu culte, le club de la Forêt Noire pouvait craindre des turbulences au moment de sa succession, cet été. Il n'en fut rien : 5e de Bundesliga après dix journées, le jeune Julian Schuster, son ex-adjoint, s'inscrit dans ses pas à la perfection. Et se déplace à Dortmund, ce samedi en direct sur Sky Sport, avec quelques certitudes.
La transition s'est tellement opérée en douceur qu'elle n'a fait aucun bruit. Pourtant, Christian Streich, sa personnalité, son charisme, son régionalisme incarnaient tant Fribourg qu'on l'imaginait laisser un grand vide au moment de son départ. Mais son successeur, habitué à l'ombre et à la retenue, s'est glissé dans ses bottes sans un frottement, sans le début d'un vertige, sans perdre l'équilibre une seconde, tout en distillant quelques subtiles gouttes de cirage qui modernisent ça et là le gros œuvre du vibrionnant sexagénaire. Sacrément fort !
Julian Schuster, 39 ans, est tout sauf un parachuté, ce que Fribourg n'aurait de toute manière guère goûté. Il l'a du reste rappelé, en creux, en octobre, au moment où Jürgen Klopp a pris les rênes de l'attelage Red Bull. « J'aurais souhaité autre chose », a-t-il soufflé. « Je continue de penser que d'autres clubs lui conviendraient mieux. » Tout en nuançant la critique : « Je ne lui en suis pas moins avant tout reconnaissant. Un jeune entraîneur peut abondamment observer Jürgen Klopp et beaucoup apprendre de lui. » Une prise de position claire, voire courageuse, tant nombre de ses collègues, bouche bée devant “Kloppo”, ne s'aventurent pas à donner leur avis. Schuster, lui, prend ses responsabilités. Et impressionne, tant on l'imaginait écrasé par la pointure des souliers de son illustre prédécesseur.
Meilleur début de saison de l'histoire du club
Ancien joueur et capitaine du club (plus de 200 matches entre 2008 et 2018), ce longiligne milieu de terrain d'1,89 m, forcément légitime au regard de ce parcours, aborde toutefois les relations publiques avec calme et doigté. Pour éviter de prêter le flanc à la critique, il protège systématiquement ses joueurs devant les micros en jouant volontiers sur le registre des louanges. Peut-être parce qu'il débute à ce poste, sans doute aussi parce qu'il était à la place desdits joueurs il y a peu de temps encore. Ce n'est pas par le verbe que Schuster fait ses preuves, qui ne tonitrue guère en chaire, comme aurait dit le sociologue américain Robert Park. C'est par les résultats. 5e à l'heure de défier le Borussia à Dortmund, le SCF est devant au classement et affiche une meilleure différence de buts. Avec 15 points au bout de 7 journées, le club de l'extrême sud-ouest de l'Allemagne a réussi cette saison le meilleur démarrage de son histoire en Bundesliga !
Le début de mandat de Schuster semble ainsi aller de soi, sacré tour de force après 12 ans et demi du turbulent Christian Streich. Entraîneur principal ? « J'ai l'impression que c'est naturel », répond en toute simplicité le futur quadragénaire. Proximité, clarté, communication, empathie et conviction sont ses maîtres-mots, ce qui étouffe toute tension avec son groupe, au sein duquel évoluent encore pas moins de neuf de ses anciens coéquipiers ! « Je suis calme parce que je peux rester moi-même », constate-t-il. « Les joueurs sentent quand le pote ‘Schusti’ fait place à l'entraîneur. » Les faits parlent pour lui et il n'hésite pas à trancher dans ses compositions, qui impactent parfois d'inébranlables cadres de Christian Streich, comme l'avant-centre Lucas Höler ou le milieu défensif Nicolas Höfler, régulièrement relégués sur le banc.
Jeunesse et vitesse, ingrédients nouveaux
Deux recrues, Eren Dinkci et Patrick Osterhage, ont les faveurs du coach, qui injecte ainsi un peu de vitesse, avec également Junior Adamu en pointe, dans un effectif qui en manquait souvent. Même le champion du monde Matthias Ginter n'est pas assuré d'être titulaire en défense centrale, où Schuster teste la jeunesse. Un dosage de nouveautés maîtrisé, qui ne remet pas en cause l'équilibre général, tant les onze de départ sont proches. Le coach n'y a effectué que sept changements depuis le début de la saison, un record en Bundesliga, à comparer avec les 25 de Xabi Alonso au Bayer !
C'est le style de jeu, surtout, qui a évolué. Un pressing plus intense, une ligne de défense plus haute, plus de courses (231 contre 213 en moyenne), plus de jeu de transition, plus de possession aussi (52% contre 48%). Mais le cœur de l'identité fribourgeoise, qui infuse en Schuster depuis 2008 qu'il est présent au club, demeure : toujours tout donner. Le Souabe n'avait mis que deux jours, après son dernier match en professionnel en 2018, pour démarrer la quête de ses diplômes d'entraîneur !
Le refus de l'omnipotence
Schuster ne se veut pas omnipotent, pêché répandu chez les jeunes techniciens, pour autant. Fait de la place à ses adjoints comme à ses quatre enfants. Son second, le Suisse Patrik Grolimund, a fait ses classes à ses côtés, autrefois, comme apprenti entraîneur. Tous ses assistants bénéficient à tour de rôle de week-ends de repos, pour s'aérer la tête et profiter de leur famille, car le coach, exactement comme son prédécesseur, voit plus loin que le rectangle vert. Et entretient ainsi un profond esprit collectif qui se ressent même de l'extérieur et qui permet de surmonter les coups d'arrêt telle la claque 0-3 administrée par Saint-Pauli, le 28 septembre, à l'Europa-Park Stadion, pour se concentrer sur l'évolution à plus long terme de l'équipe.
Reste un paradoxe : alors que l'inexpérience de Nuri Sahin, son adversaire du week-end, est pointée du doigt à Dortmund, celle de Schuster à Fribourg serait presque considérée comme un atout. Avec une prometteuse jurisprudence : celle de Jürgen Klopp à Mayence, où ce dernier est passé de joueur à entraîneur avec le succès que l'on sait. En Forêt Noire, dirigeants et supporters souhaitent ardemment à leur coach de laisser la même empreinte que “Kloppo” sur le football allemand. Ou, à défaut, celle de Christian Streich. Il serait alors déjà une légende, ce qui n'est pas si mal.