Gabriel Barès, l’interview exclusive : « En Suisse, on a toujours eu ce complexe d’infériorité »
À travers un entretien sans concession, Sky Sport a retrouvé la trace du Lausannois Gabriel Barès parti s’éclater au Burgos C.F en 2e division espagnole après une aventure décevante mais instructive au Montpellier Hérault. Rencontre.
Pourquoi tu n’as pas prolongé à Montpellier ?
GB : « Commençons par le début… Il y a trois ans, je suis arrivé en plein milieu d’une saison lors du mercato d’hiver. Une situation ambiguë, incomparable avec mon arrivée ici, à Burgos. Les dirigeants du MHSC m’ont considéré comme une opportunité. À l’époque, mon coach formateur à Lausanne m’avait mis de côté à cause d’un conflit lié au directeur sportif, et les Montpelliérains ont saisi l’aubaine pour me ramener dans le sud de la France. Je ne me suis jamais trop senti intégré au club et, puisque rien ne remplacera jamais le terrain pour moi, je suis rapidement parti en prêt pour accumuler des minutes de jeu. Après deux saisons en transit, le club ayant des soucis financiers et une capacité de recrutement limitée, je me suis finalement convaincu de rester, quitte à tout donner pour jouer en Ligue 1. Malgré quelques entrées en jeu, je n’ai jamais eu la chance de débuter un match. La réalité, c’est que j’avais vraiment besoin d’un club qui correspondait à mon style de jeu, dans un championnat qui correspondait à mes valeurs… Je ne voulais pas attendre le mois de juin et j’ai donc choisi de quitter le club pour rejoindre la Liga2. »
L’ambiance en interne à Montpellier est-elle aussi pesante qu’on le décrit ?
GB : « C’est un club particulier. Moi, je viens du sud, je sais ce que c’est, ils ont le sang chaud… Ce club est dans les extrêmes. Tu gagnes, tu es porté aux nues, tu enchaînes deux défaites et l’ambiance devient pesante… Certains gèrent mieux ça que d’autres. Je suis arrivé de Suisse assez jeune, avec une mentalité radicalement différente, et cela a été dur de faire ma place… De plus, au milieu de terrain, certains joueurs ont des ‘statuts’ et d’autres sont partis pour laisser la place à Becir Omeragic ou encore Rabby Nzingoula (prêté par Strasbourg au MHSC) qui, eux, sont arrivés à faire leur trou. Moi, il me fallait un autre contexte. »
De quoi avais-tu besoin pour briller à Montpellier ?
GB : « Déjà, ne pas alterner entre les moments où tu es sur le banc puis plus du tout dans le groupe… Quand cela m’arrive, j’ai des difficultés à être ‘dans le truc’ et, même si j’ai toujours bossé aux entraînements et été respecté par mes coéquipiers, la perception des autres n’aurait pas été la même si j’avais enchaîné des tops matchs en Ligue 1. Ne pas jouer, être avec la réserve… tout cela m’a empêché de briller. »
Selon nos informations, Jean-Louis Gasset craignait ton style trop offensif… As-tu le sentiment d’avoir été au mauvais endroit au mauvais moment ?
GB : « C’est ça ! Il y a eu le coach Gasset, le coach Der Zakarian… Le problème, c’est qu’avec Gasset, il avait beau aimer les joueurs de ballon, son arrivée était liée à notre situation de lanterne rouge du championnat de France et il a donc dû développer un football plus pragmatique, plus direct, fait de second ballon. Cela ne correspondait pas à mes qualités et le coach a donc opté pour un profil plus bagarreur, récupérateur, dur dans l’impact… Je peux le comprendre. Je n’étais pas au bon endroit, et ce n’était pas le bon moment. »
À force d’enchaîner les prêts, tu n’as jamais pu t’installer dans le club. As-tu souffert de cette instabilité ?
GB : « Sur les trois ans de contrat, comme je l’ai dit, rien ne remplace le terrain… mais la vérité, c’est que mon ancien conseiller a joué un rôle dans ces mutations perpétuelles. Il ne me correspondait pas et j’étais en plein Euro Espoirs avec la Nati lorsque j’ai décidé de le quitter, mais la période était trop tardive pour trouver une vraie solution. Avant Concarneau, il y a eu le prêt au FC Thun. Je sortais de six mois compliqués et je voulais juste jouer. J’ai été convaincu par l’humanisme du coach Mauro Lustrinelli, que j’avais côtoyé avec les M21 en Suisse, mais en fait, je n’avais pas de stabilité. Je ne savais jamais de quoi mon avenir serait fait et c’était déstabilisant. En venant à Burgos pour dix-huit mois avec une option d’un an supplémentaire, j’ai enfin trouvé la stabilité. Ici, je crée une histoire, et j’avance… »
À 24 ans, quel bilan fais-tu de ce début de carrière ?
GB : « Je reste hyper positif. Je suis pro, c’est le rêve de beaucoup, je suis dans le circuit et j’ai accepté que je ne pouvais pas tout maîtriser. C’est vrai que si, à 18 ans, titulaire à Lausanne Sport, tu m’avais demandé d’imaginer mon parcours… je ne l’aurais pas cru si difficile. Après, j’ai vécu plein de trucs qui m’ont permis de forger mon état d’esprit et ce, en peu de temps, dans des contextes différents. J’ai connu la Challenge League où tu te bats pour la montée, Concarneau en Ligue 2 où j’ai développé mon physique… mais aussi mon mental, car c’était compliqué d’être prêté là-bas… Après Montpellier, la Ligue 1, mais dans un vestiaire particulier avec des coachs renommés. Et tout cela, à seulement 24 ans. Je me nourris de ces expériences et j’arrive en Espagne avec la sensation d’un nouveau départ. Ici, ce n’était pas un choix par défaut. C’était vraiment le club, le championnat et le pays dont j’avais besoin. »
Quel est ton objectif principal avec Burgos cette saison ?
GB : « Faire grandir l’équipe. J’apprends, je regarde, j’observe, je m’intègre à la culture, j’apprends la langue et je veux uniquement aider l’équipe à atteindre ses objectifs. Depuis que je suis arrivé, Burgos a enchaîné deux victoires en deux matchs, notamment contre Santander, le leader de la Liga2, et vu les qualités du groupe, on peut viser beaucoup plus haut. »
Y a-t-il l’ambition d’aller chercher la Liga cette saison ?
GB : « Cela semble compliqué. Après, si tu fais des séries, tu montes très vite. Là, on a obtenu six points en deux matchs. Si tu gagnes quatre à cinq matchs d’affilée, tu te rapprocheras rapidement des playoffs… Il ne faut pas oublier que la Liga2 se joue en 42 matchs. Cela nous oblige à une certaine régularité. »
As-tu senti que les efforts qu’on te demande en Espagne sont différents de ceux qu’on te demandait à Montpellier ?
GB : « Cela n’a rien à voir ! Ils mettent de l’intensité, mais ils le font dans le ballon, dans les passes. Toutes les passes sont claquées, ça parle fort, ça joue en une ou deux touches, il y a moins de joueurs de percussion. C’est vraiment du jeu de passes et quand le ballon va vite, cela met de l’intensité obligatoirement et t’es obligé d’être au niveau… Même dans les courses, tu ne fais pas des courses très longues, mais sur cinq à six mètres, tu dois changer de direction, changer de rythme, et franchement, c’est super satisfaisant de jouer dans un foot comme ça. Dès les premiers entraînements, je l’ai remarqué. Le premier match, quand je suis entré en jeu contre les leaders, Santander, je l’ai ressenti et c’était incroyable ! »
Qu’est-ce qui t’a le plus percuté dans ce « nouveau » football ?
GB : « L’Espagne vit pour le football. Burgos est un club modeste, mais quand je sors dans la rue, les supporters me reconnaissent, que je sois au restaurant, au supermarché… Ce sentiment-là, je voulais vraiment le retrouver. Lors de mon premier match, même si le stade est petit, cela fait un bruit d’enfer et j’ai été choqué par la ferveur, surtout en Ligue 2. C’est un autre monde… Même en Ligue 1, certains stades n’arrivent pas à la hauteur d’enceintes comme celle de la Real Zaragoza. Puis, sur le terrain, tu joues avec dix joueurs de ballon sur onze, des profils dits ‘de pied’, et cela ajoute à la satisfaction. »
As-tu besoin de cette culture foot pour être performant sur le terrain ?
GB : « Indéniablement, cela rajoute un extra. Je suis boosté par le fait qu’en allant manger, un supporter vient me voir en me demandant d’être bon le week-end… En Suisse, je n’ai jamais eu ça et en France, c’est rare… Là, tu joues dans un club de D2, on est 17ᵉ et les mecs vivent pour ça : quand je suis entré sur le terrain, je suis juste allé à l’échauffement et le public s’est levé et m’a applaudi, à croire que j’étais un offensif qui venait de signer et qui allait marquer ! J’étais choqué. »
Si tu devais te définir, que dirais-tu ?
GB : « Je suis un passionné de football qui vit le métier de ses rêves. Un amoureux du beau jeu qui a su se transformer, qui a compris que le foot, ce n’était pas que cela.
Il y a des matchs où il fallait s’arracher ! Même si je dois encore être plus ‘méchant‘ sur le terrain, j’ai passé ce cap et je l’ai ajouté à mon jeu. Aujourd’hui, je suis le mec élégant qui va haranguer la foule après s’être arraché sur un ballon. J’ai appris à avoir ce côté ‘sang chaud’ alors que dans la vie de tous les jours, je ne suis pas comme ça. »
Quel message adresserais-tu au lecteur qui a été au bout de cette interview ?
GB : « En Espagne, je m’éclate, j’ai trouvé un pays de foot, une culture qui m’épanouit dans un cadre familial où on compte sur moi. J’ai des ambitions et je ferai tout pour les mener à bien… »