EXCLUSIF - Ardon Jashari se dévoile : « Dans ma vie, c’était le football ou rien ! »
À travers cette interview exclusive, Sky Sport s’est longuement entretenu avec la nouvelle pépite helvétique des champions de Belgique en titre. Prenez le temps pour découvrir Ardon… avant Jashari.
Ardon, es-tu surpris d’être déjà aussi important pour le Club de Bruges ?
« Non, je ne suis pas surpris, en football, tout peut toujours aller très vite… Je ne suis arrivé qu’en juillet, mais j’ai tout de suite bénéficié de la confiance de la part du coach (Nicky Hayen) et du staff, ce qui m’a permis d’atteindre rapidement un certain niveau. À Bruges, les joueurs d’expérience m’ont également aidé. Je me sens comme à la maison ici, et je pense que c’est sans doute la raison principale qui me rend si performant. Chaque match, chaque entraînement est une occasion de donner le meilleur de moi-même. »
Tu t’es rapidement adapté au championnat de Belgique…
« Je pense que le fait que mon transfert à Bruges se soit finalisé très tôt, en mars, cela m’a vraiment soulagé mentalement. J’ai eu un laps de temps pour me préparer, trouver mon appartement et tout régler de sorte à ce que je sois totalement concentré sur mon jeu dès mon arrivée. Ceci dit, je n’ai pas eu beaucoup de temps pour me préparer physiquement parce que j’étais à l’Euro avec la Nati en juin. Dès que je suis rentré, j’ai eu quatre jours pour me mettre dans le bain et ensuite on a enchaîné les matchs. Au final, je n’ai pas eu autant de temps que ça pour atteindre le niveau requis… Ce qui m’a aidé, c’est qu’ici, on a vraiment tout mis en place pour me permettre d’être prêt ! Je pense vraiment que le match déclic a été celui contre Sturm Graz en Ligue des Champions. La confiance que j’ai reçue du coach a véritablement débloqué quelque chose en moi et ensuite, tout est devenu fluide… Ne te méprends pas, je garde les pieds sur terre. À chaque entraînement, je bosse pour devenir une meilleure version de moi-même sur le terrain, et ce n’est pas du tout une promenade de santé… »
Peux-tu m’expliquer en quoi tu es devenu un meilleur joueur à Bruges ?
« Je pense d’abord que le niveau intrinsèque du championnat belge est bien supérieur à la Swiss Super League. Puis, comme je te l’ai dit, à Bruges tout est mis en place pour te faire devenir un meilleur joueur. Quand tu vois l’infrastructure ici, tu n’as plus d’excuses, et quand tu vis l’intensité, le rythme, la qualité des individualités durant les entraînements ici, tu ne peux que progresser. Concrètement, je me suis vraiment amélioré dans tous les aspects depuis mon arrivée en Belgique. »
Sur quels points spécifiques dois-tu encore progresser ?
« Pour être honnête, je savais que Bruges était le plus grand club de Belgique, donc il était assez clair qu’à mon arrivée, je venais pour accrocher des titres. Je me devais d’aller chercher des trophées. C’est ce que les gens attendent, rien d’autre que cela… Je ne me suis pas vraiment mis de pression en me disant ‘okay, tu arrives ici pour aider l’équipe avant tout avec tes qualités et, en même temps, tu vas progresser’. Je sais que je suis jeune, donc mon but est vraiment d’évoluer physiquement et mentalement. En Suisse, je n’avais pas le même niveau de pression ; je ne jouais pas pour un club où gagner des titres était habituel. Ici, c’est même obligatoire, et on te le fait sentir ! Tout est lié, et l’environnement m’aide à hausser mon niveau de jeu. »
Quelles sont tes inspirations ?
« J’ai été inspiré par différents joueurs. Mon principal modèle est Zinédine Zidane, puis arrive Andrés Iniesta et Frenkie De Jong, et ce malgré ses blessures à répétition. On peut vraiment retirer quelque chose de chaque joueur, et je tente de retirer le meilleur… des meilleurs. Je veux dénicher la petite différence qui rend ces joueurs, comme Rodri par exemple, absolument uniques, et je prends des notes pour améliorer certains aspects de mon jeu. Xavi ou encore Pirlo sont aussi des joueurs qui ont amené quelque chose de différent dans le jeu, et je tente de m’imprégner d’eux. »
Tu penses pouvoir encore passer un cap dans cet aspect du jeu ?
« Je pense que ce sont surtout les minutes de jeu et l’expérience qui vont m’aider à m’améliorer dans ce secteur. Si je joue beaucoup et que je suis épargné par les blessures, j’aurai le temps d’expérimenter certaines situations qui font que parfois, dans un match, tu peux mieux utiliser ton cerveau quant à savoir si tu dois temporiser vers ta défense, maintenir l’équilibre, etc. Tout cela vient avec l’expérience. »
Tout à l’heure, tu as dit que tu prenais des notes. Tu poses vraiment tes idées à l’écrit ?
« Bien sûr ! J’analyse absolument tous mes matches, ce que je peux améliorer, ce que j’ai bien ou mal fait… Ceci dit, je n’essaie pas spécifiquement de forcer sur un aspect en particulier pour l’améliorer à l’entraînement parce que les situations de matches sont tellement différentes d’une session avec tes coéquipiers que c’est compliqué de reproduire exactement les mêmes situations. »
Certains footballeurs pratiquent leur métier comme un travail. Chez toi, on sent le feu et la passion. Est-ce que le football était ta vocation ?
« Oui, bien sûr que le football est ma passion ! Je vis vraiment pour mon métier et j’essaie chaque jour de continuer mon développement dans tous les aspects possibles… Ce n’est pas seulement les entraînements et les matches, mais avant et après ceux-ci. Tout doit être réuni pour être bon pendant 90 minutes. »
Tu as démarré avec l’équipe de Suisse, le 17 septembre 2022. Cela fait presque deux ans et demi. Qu’est-ce que Murat Yakin t’a apporté ?
« Je n’ai pas énormément joué en équipe nationale, mais lorsque tu débarques là-bas et que tu joues au FC Lucerne, tu ne peux que prendre des notes pour t’inspirer des meilleurs joueurs. Tu t’inspires auprès d’eux, ceux qui jouent dans les plus grands championnats européens. J’ai vraiment voulu comprendre comment ils jouaient, quel était leur réel niveau… et là, tu prends une claque. C’était vraiment difficile de voir la différence de niveau avec la Super League, ce n’est clairement pas l’Angleterre ou l’Allemagne. Ce que j’ai appris de la Nati, je l’ai vu dans le jeu de mes coéquipiers, j’ai regardé les joueurs les plus expérimentés et je me suis inspiré. »
De par ton style de jeu assez unique, tu as tout pour devenir le successeur de Granit Xhaka…
« Oui, je pense qu’en Suisse, ils m’ont souvent comparé à lui dans les médias, mais il est vraiment un joueur extraordinaire, tout ce qu’il a fait est dingue, et même s’il est plus à la fin qu’au début de sa carrière, il a vraiment d’énormes années derrière lui… J’adorerais être ne serait-ce qu’une seule fois dans sa situation, mais je suis vraiment honoré d’être comparé à lui. Après, chacun sa carrière, nous sommes deux personnes différentes… »
Tu vas encore progresser, tu auras peut-être son niveau un jour…
« Je l’espère dans le futur. Si je garde la forme et que j’ai un peu de chance, on verra… »
Est-ce que tu as déjà reçu un conseil de sa part ?
« Les conseils ne concernent pas vraiment l’aspect jeu, ni le terrain. Je lui ai déjà demandé conseil et on a beaucoup parlé lorsqu’on était ensemble en équipe nationale. Lorsque j’ai fait mon transfert à Bruges, il m’a dit d’être patient et d’attendre le bon moment pour montrer que j’étais prêt. C’étaient ses mots : travailler dur et le moment viendra où tu pourras montrer tes qualités. Je parle comme si j’étais là depuis longtemps, mais ce n’est pas mon ressenti, j’ai surtout l’impression de n’être qu’au début. Comme je l’ai dit précédemment, j’essaie vraiment de toujours donner le meilleur de moi-même, comme me l’a conseillé Granit. Il m’a dit : ‘Si tu as des moments difficiles où tu ne joues pas, n’abandonne jamais. Travaille dur et le moment arrivera.’ »
Que dois-tu faire pour convaincre Yakin de te faire démarrer un match avec la Nati ?
« C’est un choix toujours difficile à faire, de décider qui démarre ou pas, mais je pense qu’il peut voir beaucoup de mes matches avec le Club de Bruges. Donc la seule chose que je puisse faire, c’est de me montrer sur le terrain et, une fois qu’il m’aura aimé, il pourra me faire confiance. Après, je le comprends aussi, parce qu’en équipe nationale, tu n’as pas beaucoup de temps à consacrer aux nouveaux joueurs. Donc, quand il pensera que je suis prêt, à moi de montrer ce dont je suis capable. »
Comment décrirais-tu ta personnalité ?
« Je suis un garçon de nature très positive. J’essaie toujours de donner cette énergie et cet état d’esprit aux autres. Ce n’est pas uniquement lorsque je joue, c’est aussi avec mes proches, dans le privé. Par exemple, si tu es dans mon entourage, tu sens que tu vas pouvoir me faire confiance… C’est quelque chose qui me définit assez bien. »
Ta personnalité vient aussi de l’éducation que tu as reçue…
« Oui, je pense que c’est pour cette raison que je suis comme ça… Dans la vie, tu ne sais jamais. Il y a deux ans et demi, je ne savais même pas que j’allais devenir professionnel et puis tout est allé si vite. J’ai fait la Coupe du monde, l’Euro, un transfert dans le plus grand club de Belgique… Donc, je sais ce que ça fait d’être au plus bas et de ne jamais devoir abandonner, même si j’ai parfois douté de mon avenir en tant que joueur professionnel. J’ai eu des hauts comme des bas, comme quand tu veux atteindre des objectifs et que tu n’y parviens pas… C’est pour cette raison que je garde les pieds sur terre et que je m’en fiche de ce que j’ai réalisé ces six derniers mois ! Je ne fais que regarder vers l’avenir pour rendre mon club et ses supporters heureux. »
Es-tu surpris par le fait que tout soit arrivé vite pour toi dans ta carrière ?
« Je ne sais pas si c’est le terme adéquat, mais je suis très fier de ce que j’ai entrepris jusqu’à présent. En football, tu ne sais jamais de quoi sera fait demain, mais je veux vraiment montrer à chaque fois que j’en ai l’occasion que je suis heureux de vivre ces instants privilégiés, l’excellente relation que j’ai avec mes coéquipiers, l’amour des fans… C’est génial. »
Peux-tu me décrire ton enfance et l’éducation que tu as reçue ?
« Je suis né à Cham, mais j’ai grandi à Neuheim. C’est un petit village situé non loin des montagnes. Baar était la petite ville à l’intérieur du canton de Zurich qui abrite Neuheim, mais j’ai grandi dans un endroit où il y a maximum 12 500 habitants. J’ai adoré y grandir. Je vivais à côté de Suisses qui avaient grandi avec des standards sociaux plus élevés, puis il y avait les familles d’origine albanaise comme moi, avec un style de vie plus modeste. J’ai parfois souffert de la différence qu’il pouvait y avoir, car je sentais que je devais regarder les plus riches comme si j’étais inférieur à eux. C’était parfois difficile à vivre. Mes parents ont toujours tout fait pour combler ce manque et faire en sorte que je ne sente jamais cette différence sociale durant mon enfance… Ils ont travaillé extrêmement dur pour qu’on puisse avoir les mêmes choses que les autres. »
Ils voulaient que vous ne manquiez de rien, c’est ça ?
« Tu sais… Ils ont travaillé si dur pour donner à mes frères et moi tout ce qu’on voulait, de sorte à ce qu’on ne puisse jamais se lever le matin et se dire : ‘Mince, il nous manque ceci, je ne peux pas aller m’entraîner à cause de cela…’ Tout ce qu’on aimait, ou ce qu’on voulait faire, nos parents nous ont donné la possibilité de le faire. »
Tu n’as jamais vu la différence de classe sociale pendant ton enfance… mais tu t’en es rendu compte plus tard ?
« C’est exact. Lorsque tu es gosse, tu ne te dis pas : ‘Oh, mes parents n’ont pas autant d’argent que leurs parents à eux.’ Mais quand je regarde dans le rétro, j’ai compris qu’on n’était pas comme eux. Leurs parents avaient des sociétés et étaient riches. Enfant, tu ne penses pas de cette façon et, à partir du moment où tu portes les mêmes chaussures que ton camarade, tu ne t’en rends pas compte. Je leur suis extrêmement reconnaissant. »
Est-ce que cela t’a motivé dans ton objectif de réussir à devenir footballeur professionnel ?
« Oui, je pense que tout ce que j’ai vécu a participé à la mentalité que j’ai aujourd’hui. »
Tu es Macédonien d’origine albanaise né en Suisse. Qu’est-ce que tu as récupéré dans ta personnalité de tout ce mélange culturel ?
« J’ai le feu de la mentalité albanaise. Tout ce qu’on voit de moi sur le terrain, cette rage… Mais j’ai grandi en Suisse et ils m’ont appris la discipline, parce que là-bas, même quand tu es enfant, si tu oublies quelque chose, tu reçois tout de suite une amende. Cette discipline est si stricte que cela te donne une structure pour la vie entière. À l’académie de football de Lucerne aussi, ils étaient durs, mais ce désir de devenir chaque jour meilleur, je le tiens de l’Albanie. »
As-tu toujours rêvé de devenir footballeur ?
« Dans ma famille, mes frères et mes six cousins, on joue tous au football. Depuis que j’ai commencé à jouer, je devais avoir six ans. On savait que j’étais le fils de l’homme de Baar qui tapait dans le ballon. Puis, j’ai été à Lucerne où j’ai intégré l’académie de football et c’était comme si tout le monde savait que je n’avais que le football dans la tête. Cela a toujours été mon rêve… Mes professeurs s’en sont vite rendus compte. On partait en pause à midi, je filais manger dix minutes et, jusqu’à la reprise, vers 13 h 30, je jouais pendant plus d’une heure au football avant de courir vers l’école pour vivre la deuxième partie de la journée en cours. J’ai fait ça absolument tous les jours, et j’ai vraiment créé une réputation du mec fou de ballon dans mon village. »
C’était le football ou rien ?
« Oui ! C’était vraiment comme ça… Après, en Suisse, j’ai eu la possibilité de faire un travail intérimaire pendant ma formation, histoire d’assurer mes arrières… Une formation dans l’administration de trois ans qui me permettait d’avoir un diplôme pour travailler dans un bureau au cas où je ne parvenais pas à devenir footballeur professionnel. Mon père était focalisé sur le football, mais ma mère voulait vraiment que je finisse ce cursus, car elle l’estimait important. Ma mère a vraiment toujours refusé que je quitte Lucerne à quatorze ou quinze ans pour un autre club, car elle voulait que j’obtienne ce fameux certificat pour être protégé et être sûr d’avoir un ‘vrai’ métier. Si tu te concentres à 100 % sur le football et que cela ne fonctionne pas, tu es dans la rue, tu vois ? »