Exclusif - Noé Dussenne : « Si je ne suis pas compétitif, je meurs ! »
En exclusivité pour Sky CH, l’homme fort de la défense lausannoise revient sur sa carrière, son rapport au milieu du football et ses ambitions.
Est-ce que tu vis la meilleure période de ta carrière ?
« Même si mon retour à Mouscron et mes meilleures années au Standard de Liège sont inoubliables, tout est réuni ici à Lausanne. Je suis dans un pays qui me plaît, avec ma famille et mes deux enfants, tout le monde se plaît bien et en plus… j’ai une vie privée ! Forcément, cela se ressent sur le terrain. Je suis vraiment épanoui. »
Qu’est-ce qui a changé pour toi depuis que tu es arrivé en Suisse ?
« En Suisse, il n’y a pas de pression liée au football. Lorsque tu te balades en rue, même au bord d’un lac torse nu — comme je l’avais fait l’été dernier car il faisait très chaud — personne ne me dit rien. Cela aurait été impossible de faire pareil au Standard de Liège. Tu n’as pas la même tranquillité. Cette qualité de vie, le fait de pouvoir tout faire avec mes enfants sans que personne ne te demande quoi que ce soit… c’est génial. Il n’y a pas cette pression négative qu’on retrouve souvent en Belgique car le football n’est pas le sport le plus populaire en Suisse, ils sont plus axés sur le hockey. Il y a un réel respect de la vie privée. Dans mon pays, on m’a déjà demandé une photo alors que je tenais mon bébé dans les bras et qu’il était en train d’hurler au milieu d’un centre commercial car il avait faim… Ici, c’est l’inverse. Tout le monde doit respecter les règles. Les gens te dénoncent même si tu ne jettes pas tes poubelles à l’endroit approprié ou si tu es mal garé. Et puis, les amendes, ce n’est pas quinze balles… (rires). Finalement, le plus embêtant reste la faible affluence dans notre stade. On doit vraiment attendre les énormes affiches pour remplir nos tribunes. La Suisse germanique possède une passion du football supérieure à la Suisse romande. »
Jusqu’où peut aller Lausanne cette saison ?
« On a été extraordinaires jusqu’à Noël puis on a connu un temps faible. On a gagné en constance cette saison. On travaille mieux, le club tout entier a appris à travailler pour atteindre ses objectifs comme terminer parmi les six premiers. Ce qui est incroyable en Suisse, c’est que la moitié des équipes jouent l’Europe. Alors, on veut le top 6. Cela va être serré jusqu’au dernier match. Dans deux semaines, nous rencontrerons trois équipes en l’espace de sept jours. Il nous faudra impérativement récupérer le maximum de points possibles. Si on prend sept points, cela s’annoncera difficile… »
Le championnat belge et suisse se ressemblent car ce sont des championnats intermédiaires tous les deux… mais quelle est la différence fondamentale entre l’un et l’autre ?
« En Belgique, trois équipes se tirent la bourre : le Club Bruges, le KRC Genk et le Sporting d’Anderlecht… Ils sont difficiles à battre. En Super League, tout le monde peut battre tout le monde. Dans le championnat belge, même lorsque tu les reçois à domicile, tu sais que le match s’annonce compliqué. Avec Lausanne Sport, lorsqu’on reçoit les leaders, on peut gagner. Ce qui est bizarre, c’est qu’ici, même en cas de défaite, tu ne reçois aucune réaction des supporters sur les réseaux sociaux. Pas un message. En Belgique, je t’en parle même pas… tout est beaucoup plus médiatisé alors que les supporters suisses viennent voir un spectacle en portant une moindre attention aux résultats ou à nos performances individuelles. »
Y a-t-il un lien à faire avec le niveau de vie des gens ?
« Je suis d’accord. Lorsque j’évoluais au Standard de Liège, je me rappelle de supporters fanatiques. Parfois, lorsqu’on perdait un match, j’avais toujours ce stress en arrivant au centre d’entraînement. Je ne savais pas si ma voiture allait être remplie d’œufs sur les vitres… Il faut savoir gérer les retombées, les digérer. Si tu es un peu trop actif sur les réseaux sociaux, tu peux rapidement paniquer et être sous pression. Lorsque tu as une vingtaine d’années, tu n’es peut-être pas prêt pour tout cela. Ici, on n’a pas cette pression. »
C’est quoi le problème du Standard de Liège ?
« Chaque année, quinze nouvelles arrivées. Difficile de bâtir sur le futur dans ces conditions. N’oublie pas que ces joueurs doivent trouver un logement, s’acclimater, connaître le championnat belge, voir ce que représente le club pour le public, intégrer la philosophie… et puis, il faut de la qualité. »
As-tu le sentiment d’avoir été respecté à ta juste valeur au Standard ?
« C’est du passé… j’ai pris du recul. J’ai 31 ans, je coûte plus cher qu’un jeune qui, s’il joue, pourra être revendu jusqu’à vingt fois plus cher. Ils doivent savoir vendre pour que le club grandisse comme Bruges le fait avec Ardon Jashari. Le plus important, c’est de créer un groupe auquel on rajoutera par la suite quelques éléments par ligne qui feront la différence. Savoir les vendre, cela fait vivre le club. »
On dit souvent qu’un homme a besoin d’objectifs pour être heureux dans sa vie…
« Oui, je ne veux pas me contenter de ce que j’ai. Au Standard, j’aurais pu m’asseoir sur mon contrat de quatre ans et me satisfaire de toucher un beau salaire tous les mois même en cas de défaite… mais non ! Je veux toujours aller de l’avant ! Même après ma carrière, j’aurai toujours envie de plus. Si on ne grandit pas, on stagne. C’est la mentalité d’un footballeur. Je ne serais jamais parvenu à devenir pro sans cette mentalité… c’est cet état d’esprit entrepreneurial qui nous procure cette adrénaline. Gagner des matches de coupe d’Europe, jouer dans les plus grands stades, contre les meilleurs joueurs… »
Tu t’es déjà planté dans ta carrière ?
« Lorsque je jouais à La Gantoise… un véritable flop. Je ne garde aucun bon souvenir. Après mon passage en Italie, je voulais absolument rentrer au pays et le coach qui souhaitait mon arrivée (Hein Vanhaezebrouck) a quitté le club après les trois premiers matches. Après, je n’ai plus jamais eu droit au chapitre. À ce moment-là, j’ai perdu mon temps. À Crotone en Serie A, c’était différent… je n’étais tout simplement pas prêt pour la réussite. J’étais seul et je ne m’attendais pas à une si grande différence culturelle. Personne ne parlait un mot d’anglais dans le sud de l’Italie. J’ai signé sans même visiter les installations lors du dernier jour de la fenêtre des transferts. Je sortais d’une bonne saison à l’Excel Mouscron (club belge aujourd’hui disparu) et je voulais absolument partir. Je n’étais pas prêt à vivre cette aventure, j’ai eu du mal à m’adapter. »
Comment vois-tu la vie après ta carrière de footballeur ?
« Je me vois rentrer en Belgique. J’ai toujours dit que je reviendrais à Mons. Ils sont actuellement en troisième division et pourraient intégrer la Challenger Pro League (Challenge League belge) bientôt… Je construis une maison en ce moment là-bas. Avec ma famille, on sait qu’on va rentrer. Une chose est sûre, je ne veux pas devenir entraîneur. Ce stress, cette boucle infernale que j’ai connue toute ma vie depuis le début de ma carrière de footballeur… c’est compliqué. Je suis attiré par la partie business. Conseiller des joueurs, travailler sur le recrutement. Même en dehors du football, j’investis dans l’immobilier. J’ai ça en moi et je garde ce côté compétiteur où je veux toujours me prouver à moi-même que je peux réussir. Si je ne suis pas compétitif, je meurs. Je me lève pour accomplir des objectifs. »
As-tu déjà imaginé une vie sans le football ?
« À la base, je n’ai jamais voulu être footballeur. Ce n’est qu’à 16 ans, lorsque j’ai fait mes premiers entraînements avec l’équipe première, que je suis entré dans ce monde. J’ai voulu cette vie. Sans ça, je ne sais pas ce que j’aurais fait. Adolescent, j’ai fait des conneries que je ne referais plus. Je sortais en plein milieu de semaine, je mangeais des frites tard le soir, je roulais très vite en voiture… je ne me rendais pas compte de ce que je faisais. En grandissant, tu te rends compte que ce n’était pas normal, comme arriver en retard à l’entraînement. À présent, c’est quelque chose qui me met hors de moi. C’est intolérable. »
Tu as commencé à Tubize en 2012. Ça fait 13 ans que tu vis dans le milieu du football. Quel est l’enseignement le plus important que tu as appris ?
« Le respect. Celui des personnes que tu côtoies. Je suis un privilégié, des personnes travaillent pour moi… tu dois tout donner pour ces gens, ces kinésithérapeutes, etc. Ces gens qui ont travaillé pour moi me respectent car je leur ai rendu ce même respect. Je ne suis pas une grande gueule mais je dis ce que je pense et je le dis comme je le pense… je ne veux pas être dans le jugement. Si un entraîneur a une façon différente de penser, je préfère lui proposer mon approche sans mettre mon ego en avant. Les gens qui ne me connaissent pas pensent que je suis prétentieux. C’est faux. Viens parler avec moi, je ne me vanterai jamais de mes exploits. Du plus jeune aux plus vieux, j’ai une relation particulière avec tout le monde. De tout temps, j’ai eu du respect pour les anciens et à mes débuts, j’étais très à l’écoute. À présent, je prends mon rôle d’ancien à cœur car il est important que les jeunes aient un point relais sur le terrain en dehors du coach, qui a déjà prouvé, et dont on sait qu’il ne dit pas des conneries. »
Basé sur ton histoire et les relations que tu as tissées dans le milieu du football : quel est le conseil le plus important que tu donnerais à un gamin de 17 ans qui vient de faire ses débuts en équipe première ?
« Garder les pieds sur terre, ne pas lire ce qui se dit sur lui car c’est le meilleur moyen de brûler ses ailes. Aujourd’hui, tu es beau. Le lendemain, tu es très laid et plus personne n’a envie de te regarder. Tu peux vraiment te casser la gueule, mais vraiment très rapidement. Rien n’est acquis. Tu ne peux que progresser en écoutant… je connais un tas de joueurs qui se sont écrasés au sol après avoir réalisé des transferts mirifiques parce qu’ils se croyaient déjà arrivés. L’argent les a fait exploser en vol. Au final, on ne retiendra de toi qu’un coup d’éclat. Ce qui me rend heureux, c’est que la tendance change. En 2025, ce sont les jeunes qui ont le pouvoir. Ce sont les jeunes qui ont le pouvoir car ils ont une plus grande valeur sur le marché. De mon temps, les clubs voulaient un joueur avec deux cents matches dans les jambes. Aujourd’hui, ils sont propulsés sur le devant de la scène à 19 ans. Comme je le dis tout le temps à Alvyn Sanches : ‘reste tranquille et calme, ça va bien se passer…’ parfois, c’est difficile pour un talent de gérer les appels d’agents lui annonçant que Manchester United, Marseille et Lyon sont venus le voir jouer au stade. Tout cela joue dans la tête des jeunes. À 20 ans, tu n’es pas prêt. Je pense que le meilleur exemple est Lamine Yamal qui reste proche de sa famille, son père, son petit frère. Tout peut s’arrêter du jour au lendemain, on peut te descendre plus bas que terre et tu ne te relèves plus jamais… il faut en avoir conscience et faire preuve de force mentale comme Kylian Mbappé l’a fait lors de ses six premiers mois au Real Madrid. Il s’est bien entouré, a fait appel à des psychologues, et même si son ego et sa façon de parler ne plaisent pas à tout le monde, il a réussi à sortir la tête de l’eau grâce à son état d’esprit. »