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Dans la tête de… Jeremy Guillemenot (Servette Genève) : « Je suis un humain comme vous »

Sacha

À travers un entretien sans concession, le buteur du Servette Genève se confie sur ses aspirations, son état d’esprit et les enjeux du métier de footballeur.

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Jeremy Guillemenot célébrant la victoire en Coupe de Suisse la saison dernière © KEYSTONE / Salvatore Di Nolfi

Installez-vous confortablement. Prenez de quoi vous sustenter. Plongez dans une conversation pleine de vérité où nous vous ferons découvrir Jeremy bien plus que Guillemenot.

On pose souvent la question sans vraiment écouter de crédit à la réponse mais comment vas-tu… vraiment ? 

J : « Je vais bien. Être joueur de football n’est pas facile au quotidien. On s’entraîne dur car on a des attentes et il y a une forme de pression qui est à certains moments plus difficile mais avec les années, je parviens à mieux la gérer. Dans l’ensemble, le fait de jouer chez moi à Genève dans un club où j’ai atteins certains objectifs fixés me permet d’être bien dans ma peau. »

Ta vie de footballeur a t-elle déjà eu un impact sur ta vie affective ?

J : « Le football passe avant toutes choses donc dès qu’il y a un moment difficile, ça se répercute directement dans ma vie privée. J’ai la chance d’avoir une conjointe qui au fil des années a compris les enjeux de mon métier. Elle sait qu’il y a des moments où il est préférable de ne pas me parler du tout et lorsque on est de retour dans mon ‘cocon’, je travaille sur moi-même pour oublier les frustrations liées à ma vie de footballeur. Mon coin privé me permet de libérer mes pensées et donc d’aller mieux. »

Comment fais-tu pour libérer tes pensées ?  

J : « Grâce à ma copine Marina! Elle parvient à me faire rigoler dans des moments où j’en ai pas du tout envie… Mes amis ont aussi un impact. Avec l’expérience, j’ai réussi à laisser mes problèmes sur le paillasson devant l’entrée. Je parviens à me couper du monde extérieur. Depuis mes 7 ans, le football a construit ma vie. Donc, à la maison, après des défaites, je n’ai pas envie de parler du match ou de ce qui n’a pas été durant la rencontre. Ceci dit, il y a des moments où pour me libérer, j’ai besoin de parler… mais le timing est important. Marina sait trouver les bons moments. »

Parlons de ton rôle sur le terrain. C’est quoi la réussite d’un attaquant ?

J : «  Je suis très minutieux et critique envers moi donc il n’y a pas beaucoup de matches où je suis sorti du terrain avec l’impression d’avoir tout fait parfaitement. Je pense qu’il n’y a presque aucun match où j’ai quitté le terrain en étant convaincu que quoi qu’il arrive, je n’aurais pas pu faire mieux. Nous, les attaquants, on est différent. Normalement, on doit être décisif. Nous sommes les joueurs les plus attendus, les plus critiqués, les mieux mis en lumière aussi. Je ne m’impose aucune pression liée à l’obligation de marquer… Je veux prendre du plaisir sur le terrain. Après, le football est ainsi fait que tu peux réussir des buts exceptionnels lors d’un match puis passer complètement à côté  comme cela m’est arrivé face au Chelsea Football Club en Coupe d’Europe avec une action où je rate le cadre à 30 centimètres du but londonien. La confiance est le mot  d’ordre, tu ne peux pas la travailler. Avec l’expérience, je suis critique envers ma personne mais je sais aussi me remettre en question. Oui, j’étais frustré après ce raté contre Chelsea là bas, à Stamford Bridge mais ça s’est passé donc que veux-tu faire d’autre ? Au match retour, j’ai répondu présent et j’ai marqué sur une action plus difficile encore… Tu sais, le football, il faut pas se poser 1000 questions. Lorsque je manque de réussite, je dois simplement être plus concentré, donner plus d’énergies et transformer le négatif en positif. Je dois créer cette réussite. »

Es-tu un éternel insatisfait ?

J : «Même si mon match est bon, il y aura toujours plusieurs actions logées dans mon esprit qui me convaincront que j’aurais pu faire mieux. Une passe, un ballon loupé à dix centimètres près. Dans ma tête, c’est ça qui va rester. Lorsqu’il s’agit mon entourage, je garde un tempérament très positif mais j’ai des attentes si élevées que si je marque, je ne peux m’en satisfaire. Dans ma tête, je suis balloté entre la satisfaction du devoir accompli et mes arrières pensées qui me disent que j’aurais dû mieux faire. »

L’action de but dont tu me parles face à Chelsea… Cela t’as empêché de dormir ?

J : « Disons que cela fait mal car c’était une rencontre décisive contre un grand adversaire et qu’au vu du match aller, ce but aurait pu avoir une incidence sur la qualification mais non, cela ne m’empêche pas de dormir, de rigoler, de passer des joyeux moments… Encore une fois, je suis critique mais j’intériorise énormément donc une action ratée ne m’empêchera pas de vivre. »

Quelle est l’épreuve la plus importante que tu as dû surmonter ?  

J  : « Mon départ à 18 ans au FC Barcelone. Attention, je ne le regrette pas du tout ! J’y ai appris le football, la culture, l’état d’esprit ‘Barça’… même en termes de formation, c’est le meilleur club du monde mais lors de ma 2e année à la Masia quand j’ai été prêté au Sabadell CF, l’entraineur de l’époque (Toni Seligrat aujourd’hui coach adjoint du FC Valence) m’a dit dès la première discussion post-mercato : ‘moi les joueurs du Barça, Real Madrid, je m’en fous. Vous allez pas jouer cette saison, je vous aime pas!’Imagine… Tu vis dans un autre pays, seul, ton rêve est de devenir footballeur professionnel et en début de saison, ton coach te dit ça. À mon arrivée au Rapid Vienne aussi cela a été compliqué… Le coach qui me voulait se fait virer après 2 matches et son remplaçant me dit ‘même si tu te donnes à fond à l’entraînement, tu ne joueras jamais’… C’est à toi d’être fort mentalement. Les gens ne le comprennent pas mais tout ce qui se passe en dehors du football reste encore plus compliqué que ce que vous voyez sur le terrain. »

Comment la pression se matérialise t-elle chez toi ?

J : « Les picotements dans le ventre. Je me dis qu’aujourd’hui, cela va être beau, qu’on sur un jour différent. Avant les matches, j’ai déjà fais le match. Tu analyses tous les paramètres, chaque détail… Puis, tu oublies tout dès la première passe, la première frappe à l’entraînement. Y a plus aucune pression. C’est que du kiff comme la finale de Coupe de Suisse, les matches face à l’AS Roma et Chelsea. Des moments rares dans une vie! Lorsque j’étais jeune, la pression prenait une autre forme. Je faisais tout ce qui était en mon pouvoir pour recevoir l’opportunité de briller, je voulais tout bien faire. C’est à ce moment-là que je me suis mis trop de pression. Avec le temps, j’ai appris à prendre ce qui vient et kiffer le moment. »
 

Guillemenot
Jeremy Guillemenot sous le maillot du Servette Genève

La conséquence directe de la pression, c’est l’adrénaline. Est-elle ton allié ?

J : « L’adrénaline, c’est une sorte de bonne drogue. Je l’ai presque toujours en match. Après, j’ai du mal à dormir. J’ai même des difficultés à manger directement après une rencontre, j’ai besoin de temps. Si je joue à 20:00, je ne dors pas avant 3:00 voire 4:00 du matin. Cette adrénaline où je me refais les scènes, les actions en boucle, j’ai ça après chaque match. Avant les matches, cela va mieux. Lorsque j’étais jeune, j’avais des difficultés à m’endormir. Dans ma tête, je me faisais des films. L’expérience aidant, je dors mieux. »

Quel est ton sas de décompression et de déconnexion ?

J : « Je suis quelqu’un de très casanier. Marina vient de finir ses études il y a quelques mois donc avec les matches du week-end et sa semaine d’école, il n’est pas facile de trouver des moments pour partir en vacances. Chez moi, ce besoin de déconnexion, je le découvre dans les jeux-vidéos. Je retrouve mes potes où je décompresse, rigole, fait des blagues. Ce n’est pas quotidien mais même Marina sait que ‘la play, c’est plus que la play.’  C’est surtout penser à autre chose. Quand je dis que je ne dors pas jusqu’à 4:00 du matin, ma nuit se repartit entre les parties de jeux-vidéos jusqu’à 2:00 après quoi je n’arrive toujours pas à m’endormir donc je regarde des films qui me font trouver le sommeil deux heures plus tard. J’ai même déjà fais la remarque aux membres de ma famille en leur demandant de laisser le boulot de côté. C’est Jeremy qui est là, plus le footballeur. Profitons. »

Est-ce que tu as parfois souffert de ton image de footballeur ?

J : «  Non. Mon métier est connoté positivement dans la société, il est bien vu de prendre soin de soi, de s’entrainer, de donner du plaisir aux gens. En tant que footballeur, je donne des émotions aux spectateurs et les critiques ne m’ont jamais mis de freins ni de barrières à ma vie. »

As-tu déjà souffert du fait qu’on ne t’aime pas pour qui tu es mais parce que tu es footballeur ?

J : «  Je vois ce que tu veux dire… J’ai toujours été bien entouré et forgé ma mentalité jeune. Dès l’âge de 13 ans, mes parents travaillaient, mes soeurs étaient à l’école, je rentrais, je me faisais à manger… des choses comme ça. Partir à Barcelone m’a aussi forgé. À ce moment-là, les fréquentations sont arrivées et je me rendu compte que ce milieu pouvait être malsain si je ne mettais pas des barrières. Par nature, je n’ai pas beaucoup d’amis et je ne donne pas ma confiance facilement… Je ne me suis jamais fais berner par les personnes avides d’argent car je sais les reconnaitre. Beaucoup sont là uniquement par intérêt. »

Comment définis-tu les relations humaines que tu as dans la vie de tous les jours ?

J : «  Je suis réservé. Plus jeune, j’étais quelqu’un de timide et c’est grâce au football que j’ai pris confiance en moi. Je suis entier mais pas facile à percer… Cela veut dire que demain si on va au restaurant ensemble, on va peut-être passer un bon moment mais il y a certaines choses que je ne te dirais pas. Je les réserve pour mes amis. Après, je cerne aussi rapidement les gens. Les serpents, c’est à toi de leur mettre des limites. T’es un personnage médiatique, tu représentes le nom d’un club. Si tu ne projètes pas cette image, que va t-on penser de toi ? »

Est-ce que les commentaires des supporters sur les réseaux sociaux ont déjà eu un impact sur ton état d’esprit ?

J: « Ah non! Loin de là même…  Tu auras toujours des critiques. Nous les attaquants, on est souvent critiqués et je trouve cela normal car nous sommes les joueurs les plus attendus. Cela fait partie de mon apprentissage que d’être critiqué et encore plus ici à Servette où il s’agit de mon club, ma ville… Les gens en attendent énormément et au moindre fait et geste, la critique ne rate pas. Moi, ça me passe outre… »

Qu’est-ce qui te donne le sentiment du devoir accompli ?

J : « Des fois, tu passes un entrainement de merde et mon état d’esprit est complètement noir, je suis en colère et dans l’incompréhension mais à partir du moment où je rentre à la maison, qu’on démarre un film avec Marina, qu’on a fini de manger…  Je relativise et je me dis que c’est une journée difficile qui s’est plutôt bien terminée. Le foot est majoritairement dans ma vie donc si je passe une journée de merde, il y aura difficilement autre chose qui me remontera le moral. Même si j’ai un enfant et qu’il m’arrive d’avoir une séance insatisfaisante, la séance restera merdique. Je sais peser le pour et le contre mais je ne l’oublierais pas si j’ai fais un entrainement de merde. »

C’est quoi ta priorité dans ta vie ? 

J : «  La carrière d’un footballeur est courte donc il faut chaque jour optimiser le jour d’après… Je vis beaucoup au jour le jour donc dès qu’il y a quelque chose qui entrave ma carrière, je dois passer outre. Si demain je dois signer dans un club et que ça met des difficultés dans notre couple avec Marina ou que ça pose un problème à ma famille, si c’est le meilleur choix pour ma carrière, je le ferais. Si j’avais des enfants, cela serait différent mais on en déjà parlé avec Marina… »

T’es prêt à aller jusqu’au bout de ton rêve en fait ?

J : «  Oui ! Elle même me l’a dit. Elle sait que cela ne sera pas évident mais il s’agit de vivre mon rêve à fond sans se mettre de barrières…  »

Le football c’est le sport le plus individuel des sports collectifs. S’il faut écarter des gens pour avancer dans ta carrière tu serais capable de le faire ?

J : «  Oui. Le train ne passe parfois qu’une seule fois et tu ne sais pas ce qui arrivera demain. Tu peux te blesser, avoir des problèmes de santé… À toi de vivre ta carrière au maximum. Je peux me tromper mais je ne veux jamais regretter parce que j’ai conscience que ce sont mes choix. J’ai sacrifié ma vie pour le foot dès l’enfance, personne ne gâchera ma carrière. »

Si tu devais arrêter ta carrière aujourd’hui, elle serait réussie ou ratée ?

J:  « Elle serait ratée. Je sais que beaucoup rêverait d’avoir ma carrière mais quand tu es ambitieux et que tu as vécu des moments extraordinaires, tu en veux toujours plus. Si demain ma carrière devait s’arrêter, je serais déçu de moi et insatisfait… »

Parce que tu n’as pas été au bout de ce que tu étais comme personne ou de ce que tu pensais pouvoir donner au football ?

J : « C’est ça! Pas au bout de mes capacités, surtout ! On dit souvent qu’un attaquant est au top de sa forme aux alentours de 28 ans donc j’ai encore de belles années devant moi et je veux les vivre jusqu’au moment où mon corps me dira que je ne pourrais plus et que je devrais prendre ma retraite mais j’en suis encore loin et comme je l’ai dis si ma carrière devait s’arrêter aujourd’hui, je ne serais pas un homme comblé. » 
 

vsChelsea
Jeremy Guillemenot dans sa rencontre d'UEFA Conference League contre le Chelsea Football Club.

Es-tu heureux dans ta vie ?

J : « Oui! Dans le monde, des millions de jeunes voudraient être à ma place. On est des privilégiés. Je suis un joueur heureux. Un homme heureux. Pour revenir à la finale de la Coupe de Suisse remportée la saison dernière, j’ai été touché par ces supporters qui pleuraient, se sont faits tatoués. Je me dois de leur rendre toutes ses émotions qu’ils me donnent. »

Rendre les autres heureux grâce à tes buts, les faire vibrer, c’est ce qui te rend vivant ?

J : «  Oui! C’est la conséquence de mon travail. Ce sentiment d’avoir fait quelque chose de bien, le retour de l’énergie des gens… Voilà ce que je veux. C’est pour ça que je veux vivre ces moments-là et être décisif. Je veux revivre ces émotions uniques. »

Est-ce que tu as déjà vécu la dépression ?

J : « Oui, je ne vais pas le cacher… (À Barcelone) j’étais seul dans un pays inconnu. Personne à mes côtés. Dans ma tête, cela vrille de tous les côtés. Ce sont encore des 
discussions tabous dans notre milieu mais quand on voit l’histoire d’Alexis Beka Beka (le joueur de l’OGC Nice qui a tenté de se suicider) il y a plus d’un joueur qui y a pensé… Le football, c’est une telle pression! Chaque fois, il y a des gens qui vont te pousser encore plus vers le bas jusqu’au moment où tu te dis ‘à quoi est-ce que je sers ?’ L’entourage est capital… »

Si tu avais un message à faire passer aux lecteurs de Sky Sport qui ont été jusqu’au bout de cet entretien-thérapie, que leur dirais-tu ?


J : «  Je suis humain comme vous. Parfois, je ne me sens pas bien dans mon job. Parfois, je me sens bien. Je suis joueur professionnel mais avant-tout, je suis quelqu’un de normal. Comme vous. »

Sacha Tavolieri 

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