Bayer Leverkusen : le chef d’orchestre, le soliste et l’antidote
Après un remarquable redressement du Bayer, qu’il a pris en main (16e en octobre 2022) doublé d’un non moins remarquable parcours européen jusqu’en demi-finale d’Europa League, Xabi Alonso a désormais eu les coudées franches pour imprimer ses idées sur la formation rhénane dès la pré-saison.
Avec un bilan impressionnant de 11 victoires et 2 nuls, pour aucun revers, les hommes du coach Basque sont au coude à coude avec le Bayern (qui compte un match en moins), et chez qui ils ont partagé les points en septembre dernier (2-2).
Organisé en 3-4-2-1, l’équipe de l’ancien métronome espagnol semble organisée autour de concepts immuables, tout en étant dotée d’une grande mobilité, et de mécanismes d’adaptation pouvant aller jusqu’au changement de système. Dans cette structure, certaines individualités prennent feu, et le spectacle est au rendez-vous.
Verticalité organisée
Autour d’un XI qui tourne peu, le Basque a créé une équipe à la fois appliquée et libre, positionnelle et verticale. Xhaka et Wirtz en sont certainement les deux dépositaires les plus emblématiques. Le Suisse pour sortir les ballons et les emmener dans le camp adverse, l’Allemand pour les bonifier avec maestria, au moment de finaliser des temps de jeu offensifs. Un rôle que peut même tenir l’ancien Gunner face à un bloc replié, alors que l’Allemand achève des équipes coupées en deux.
Des séquences sur lesquelles la surface adverse est prise d’assaut, notamment par les pistons Frimpong et Grimaldo. Avec 4 ou 5 joueurs (sans compter le porteur) qui attaquent la dernière ligne adverse au moment de finaliser les actions, les Rhénans jouent avec le hors-jeu/l’alignement de l’adversaire. Il suffit alors de trouver un seul joueur dans le dos pour finir en position légale. Une formule idoine pour permettre (entre autre options) à Boniface (ou à un autre) de "camper" ou de "trainer" en position de hors-jeu passif, avant d’éventuellement / possiblement finaliser. Et surtout d’envoyer des courses qui font mal à une défense.
Avant d’en arriver là, Leverkusen se distingue notamment par l’utilisation de sortie de balle asymétriques.
Au moment de faire face à un 4-4-2 comme celui de Leipzig, Alonso déforme son 3-4-3, et change un central en latéral, s’offrant ainsi le luxe de changer un piston en ailier. Tah est le seul véritable défenseur central de son équipe, et encore.
La suite dans le camp adverse face au Borussia ci-dessous. On voit clairement que Frimpong devient ailier, Kossonou latéral, alors que Xhaka vient apporter ce qu’il faut de structure à la défense (à 2) en cas de perte de balle.
Leverkusen n’utilise que 3/5e de la largeur du terrain avec la balle, ce qui va plutôt à l’encontre des principes habituels du jeu de position : une utilisation totale de la largeur pour s’offrir des angles de passes propres et nets.
Un soliste en état de grâce
Bien entendu, de par sa stature, ses résultats, et l’harmonie collective que dégage son équipe, Xabi Alonso est légitimement la figure de proue du projet rhénan. Ceci étant, plus encore qu’ailleurs, l’impact de la dimension individuelle, pour ne pas dire « irremplaçable » de certains joueurs est indéniable dans la formule développée par le Basque.
Le plus souvent préposé à faire le lien entre relance et dernière passe, Florian Wirtz est littéralement en état de grâce cette saison. Ces dernières années, avec l’émergence de l’analyse, un certain nombre de « concept-refuge » nous ont été servis – pour ainsi dire – à toutes les sauces. Parmi eux : la sacro-sainte orientation de ¾.
Florian Wirtz, qui est littéralement en feu cette saison, est généralement chargé de faire le lien entre la construction du jeu et la dernière passe.
Le jeu de Florian Wirtz est à la fois une ode et un défi au concept d’orientation de 3/4. De par sa tonicité, et sa capacité à garder le temps d’avance décrit plus haut - généré par Tatsoba et ses collègues de la base arrière – l’Allemand représente une menace constante pour les défenses adverses, qu’il fend allégrement par la qualité et le dosage de ses services en profondeur.
Illustration, d’abord face au BMG dans un style académique :
Pour se mettre dans cette situation, le jeune Allemand étale sa classe sur cette feinte de passe pour Hoffman qui lui ouvre le chemin du but :
Là où son jeu est un défi à cette orientation (dont l’utilisation systématique fut récemment fustigée par Pablo Aimar) : les options offertes par son orientation son bien plus nombreuses et variées qu’un simple et scolaire service dans les pieds.
Illustration plus tôt dans le même match, avec une sortie de balle de Leverkusen :
Cela matche avec le parti pris expliqué plus haut, dans lequel nécessairement, si Frimpong est ailier droit, le 4-2-4 éphémère appelle une certaine verticalité, pour Wirtz ou Hofmann. Pour autant, le crack allemand va être servi « dans les pieds ». Et c’est lui qui va compenser la dimension « contre-nature » de son orientation.
Non seulement, le premier contact avec le ballon est parfait (et on voit bien que Frimpong et Boniface ont confiance en lui) mais le meneur de jeu rhénan s’offre le luxe d’une prise d’information, tout en réalisant cette prise de balle compliquée :
BVB – le plan anti-Wirtz
Avant de jouer Dortmund (13e journée), le Bayer n’avait affronté que 2 équipes du top5 : Leipzig (1ere journée), et le Bayern (4e journée). Si leur succès ne doit rien à personne, le triptyque Dortmund (4e), Stuttgart (5e, ce dimanche) et Frankfort (7e) a forcément valeur de test pour la formation de Xabi Alonso. Performants cette saison – et ça se voit en Champions League – dans l’exercice de l’adaptation à l’adversaire, le BVB est un redoutable caméléon. Ils ont confirmé cette aptitude face au Bayer, d’abord sans ballon, avec un plan anti-Wirtz parfaitement ciblé.
On l’a vu, le Bayer « attaque compact » avec Xhaka et Palacios relativement proches l’un de l’autre. Dans le même temps, les latéraux sont décisifs dans l’élaboration du jeu, et Wirtz, plus encore que Hofmann, polarise la création.
Le Borussia a donc adapté son bloc selon ces caractéristiques : une ligne de milieux offensifs ultra-compacte sur la largeur pour à la fois gérer le double pivot, tout en pouvant aller aider Füllkrug devant. Mais surtout un mécanisme fluide pour gérer Grimaldo et Wirtz. À droite, Marius Wolf sortait allégrement pour serrer de près Grimaldo, alors qu’Emre Can entrait dans un marquage quasi-individuel de Wirtz au cœur du jeu, quelques soient les mouvements du crack allemand. De l’autre côté, quelle que soit la position de la balle, Sabitzer entrait dans la même logique individuelle avec Hofmann.
On a vu plus haut que "l’entassement" était une vertu offensive pour Leverkusen. Etant compact à leur tour, les Borussen pouvaient donc s’offrir le luxe de monter – comme à leur habitude pour le coup – leur ligne défensive pour jouer le hors-jeu, certains de pouvoir cadrer le porteur adverse, avec la multitude de joueurs présents entre le ballon et les destinataires en profondeur, rapidement mis en position de hors jeu.
Dans la minute qui suite, le BVB continue à réciter son plan :
Rêver a un prix – l’antidote du BVB
L’alignement fera à nouveau la différence sur le but (à nouveau sublime) refusé de Wirtz.
Après l’entrée de Schick, changeant le trio offensif de 2-1 à 1-2, Leverkusen égalisera finalement, après la sortie de Schlotterbeck. On notera aussi le réajustement avec Grimaldo et Frimpong bien plus intérieurs en seconde mi-temps, pour sortir des marquages serrés du BVB.
Si le bilan statistique du Bayer est colossal, et sa formule loin d’être binaire, Dortmund a tout de même posé les bases, et montré la voie, du plan idéal pour contrecarrer les plans du coach basque. Wirtz est aussi sublime qu’indispensable et il en va de même pour Xhaka. D’ailleurs, d’aucuns pourraient voir une filiation entre le Suisse et son entraineur, comme entre Wirtz et Özil, qu’Alonso secondait brillement dans le super vertical Real 2012…
Quoi qu’il en soit, le succès de Xabi Alonso, à l’avenir tout tracé, est déjà effectif. Entre la renaissance de Tah, la deuxième jeunesse de Xhaka, dont les frappes lourdes auraient pu faire mouche face au BVB, la brillance de Wirtz, et l’épanouissement de Boniface, il donne déjà les gages d’un coach, complet, serein et prometteur. Assez pour écrire la plus belle page de l’Histoire d’un club souvent maudit ? C’est un rêve qui est en vie en Rhénanie.