Marquinhos, l’addiction à la reculade
Si le sujet, un temps tabou, est désormais mainstream, alors que le central Brésilien boucle sa 12e saison dans la capitale, la dimension excessivement prudente et passive de Marquinhos lors de la phase défensive est – après ce retour orageux à Villa Park – plus que jamais au cœur des discussions, des enjeux et des craintes côté parisien, avant une demi-finale excitante face à de tranchants Gunners
Nœud de conflits plus ou moins froids avec bon nombre de ses entraineurs, le gout prononcé, voire irrésistible, de Marquinhos pour la marche arrière, fait partie des dénominateurs communs de tous les échecs continentaux du PSG moderne. De Barcelone à Dortmund, en incluant le fracas retentissant de Madrid, il y a toujours un moment où la couteuse et impactante sortie au duel est écartée par le Capi brésilien, pour favoriser une anticipation excessive, qui finit par mettre le PSG en échec défensif.
Dans la continuité du match aller (pour lequel Marquinhos était suspendu), Luis Enrique a à nouveau pris le parti de reculer sa ligne défensive, face à de tranchant Villans, et leur coach statutaire, au gout prononcé pour l’incision des alignements adverses.
Offrant donc - sciemment - un gouffre entre leurs lignes, les Parisiens ont cette fois-ci perdu l’effet de surprise dont ils bénéficiaient à l’aller. Alors que Villa a trouvé le moyen d’empêcher Paris de gérer toutes les solutions intérieures comme c’était le cas au Parc, les Villans ont trouvé énormément de contact entre les lignes, générant une dynamique pour le moins négative pour le PSG.
Les Parisiens se sont fait peur, passant de +4 à +1, et vivant une traumatisante expérience de mort imminente dans les derniers instants de la partie. Passés à trépas, la reculade à nouveau caricaturale de l’ancien Romaniste sur la frappe de McGinn aurait certainement rejoint la liste non-exhaustive déclinée plus haut.
Si ce but est plus symbolique que véritablement imputable à Marquinhos, il participera à confirmer un mouvement qui semble avoir pris forme après la déroute de Bernabeu en 2022 : Peu à peu, au fil des saisons, la logique probabiliste qui tendait à l’associer au gratin du gratin mondial au poste a pris du plomb dans l’aile. La narration du défenseur intelligent levant peu à peu le voile sur des manquements réels.
Bien entendu, un central présentant l’excès inverse ne saurait incarner la juste alternative, quant à un poste caractérisé par la subtilité, et la cohabitation harmonieuse entre engagement et désengagement, mais à propos duquel confort et performance ne font jamais bon ménage.
Pourquoi avancer ? Mettre hors-jeu et être au contact
Ainsi, il convient de poser les bases d’une séquence logique, selon laquelle avancer pour avancer n’a, bien entendu, pas non-plus de sens. Et au sein de laquelle alignement et orientation sont également des notions décisives… sans l’être autant que la fusion de tous ces concepts, et des impérieuses nécessités athlétiques inhérentes à leur mise en œuvre, qui sont, on va le voir, au cœur du sujet Marqui.
Dans le contexte du plus haut niveau - et particulièrement du PSG, où le bloc bas est culturellement inenvisageable – entraineurs et défenseurs doivent constamment jongler entre deux idéaux : Contrôler ce qui se passe devant, et derrière eux.
Si un bloc trop court en longueur offre trop de profondeur, il a la vertu de réduire drastiquement les positions légales pour recevoir le ballon, par la force du hors-jeu.
Dans le même esprit, un bloc trop long maximise la potentialité de voir l’adversaire progresser. En se retournant entre les lignes, ou en glanant le précieux 3e ou 4e ballon. Qui n’existe pas s’il y a hors-jeu sur le premier.
Avancer est alors un "risque", qui présente - faisant d’un pas deux coups – le bénéfice d’être au contact des offensifs adverses qui demandent dans les pieds. Tout en mettant hors-jeu ceux attaquent la profondeur.
Et toujours dans le même esprit, si l’on a la certitude que l’adversaire, par sa grandeur collective ou individuelle trouvera inévitablement le moyen de jouer vers l’avant, alors la défense devra renoncer à la vertu de l’alignement, pour que l’un de ses membres se rapproche de l’interligne, alors que l’autre étouffera le feu dans la direction du but. Un accordéon positif en somme, dont la paire Varane – Ramos - et ses trois reliques - est l’incarnation.
Ainsi, être trop bas, tout en restant de face, peut être bien plus dangereux que se tenir plus haut, mais dans une orientation qui permette de rester dans la roue de son attaquant.
Pour autant, et on le voit avec la légendaire paire madridiste, deux constats s’imposent au plus haut niveau, et d’autant plus dans un bloc constamment haut :
- Le duel, aérien ou au sol, ne peut constamment être retardé, ou évité
- Il y a toujours un moment ou le bloc doit se raccourcir en longueur
Reculer, avancer, s’orienter, s’aligner, aller au duel, le refuser… sont autant de notions qui n’ont pas de valeur, ni positive ni négative, dans l’absolu. Sans un discours articulé par le contexte collectif et adverse, on peut leur faire dire à peu près tout et n’importe quoi.
Ainsi, plus que de raison, la passivité et "l’anticipation" sont souvent automatiquement associées à l’intelligence et à la qualité défensive. Ce biais, qui a procédé à la sanctification de certains mythes, et à la dévaluation de véritables références, a certainement profité au Brésilien, d’où l’intérêt, comme on vient de le faire, de le détricoter.
14 février 2001, le PSG se rend en Italie pour y affronter le Milan AC. Paris sera mal payé repartant avec le nul 1-1 tout en étant en supériorité numérique pendant toute la deuxième mi-temps. Leonardo marquera contre son ancien club et c'est Anelka qui égalisera. pic.twitter.com/jbFGNud62w
— Ƥяιηcє Oωѕкι (@PrinceOwski) February 14, 2024
Effort et contre-effort
Quel est le job défensif d’un central au PSG ? Posé simplement : Luis Enrique pratique une zone mixte.
Le milieu à trois se calque sur celui de l’adversaire, alors que la défense, quant à elle, enclenche dès que possible la marche avant, dans un esprit plus zonal, et moins fixé sur les hommes. Les attaquants ont, eux, pour charge d’orienter la relance adverse vers l’intérieur, où opèrent les marquages des milieux du PSG.
Un patron dans lequel la complémentarité des approches des différentes lignes (zone + marquages) peut vite se transformer en contre-sens (orienter l’adversaire vers le but, et lui offrir de la profondeur, en l’occurrence) si l’adversaire est malin. Et il ne manque pas de l’être à ce niveau.
À l’aller au Parc face à Liverpool, l’ouverture du score sanctionne l’incapacité des Parisiens à répondre à cette stratégie des Reds, qui sautent le milieu en somme, et invitent le back4 à choisir entre recul coordonné et alignement.
Sur le long ballon d’Alisson, Mac Allister (traqué par Neves) et Szobo (traqué par Vitinha) viennent mettre la pagaille dans l’alignement du PSG. Pour autant, Darwin (9) est toujours hors-jeu.
Sur le temps du pas d’élan qu’il faut à Alisson pour propulser le cuir, le Brésilien va sortir du plan de jeu et remettre en jeu l’étalon uruguayen, destinataire de la passe, qui sera donc sollicité en position légale. Avec les conséquences funestes que l’on sait.
En s’alignant, Marquinhos aurait mis Darwin hors-jeu, mais aurait dû assumer ce choix, en assurant la gestion de Mac Allister, toujours en position légale, tout en gardant à l’esprit que Darwin, était - peut-être - onside dans son dos.
Un risque qu’il ne prendra pas.
On a une illustration ci-dessous, avec Cubarsi, de l’effort brutal à produire, en sens inverse, si l’alignement est vaincu par le dynamisme "technico-tactique" de l’adversaire :
Pedagogie Flickienne => Pau Cubarsi
— Victor Lefaucheux (@Premieretouche) October 23, 2024
Alignement + orientation.
Gnabry mis hors-jeu, tout en le contrôlant.
Mais
Davies en jeu, également contrôlé.
Risqué calculé / effort utile, pour rester haut et pousser l'adversaire à l'erreur. pic.twitter.com/op50WRe5vd
Même si l’installation de la VAR change légèrement la donne, avancer veut avant tout dire se tenir prêt à reculer si l’alignement est vaincu, et il le sera inéluctablement, selon la logique vue plus haut.
Sur l’action entrevue plus haut, le hors-jeu de Liverpool face à l’Inter va dysfonctionner accidentellement après une bavure technique de Van Dijk. Ayant produit cet avancement dissuasif en amont, Konaté doit assumer, dans l’autre sens, un contre-effort terrible :
C’est certainement cette perspective périlleuse, vers l’arrière, qui souvent, dissuade Marquinhos de faire ce pas nécessaire, vers l’avant, pour raccourcir le bloc. Pis, sur cette action représentative face à Nunez (et MacAllister !), Marquinhos n’échappe pas à un contre-effort, d’une autre nature : après son sprint arrière, il doit décoller en détente sèche, et (il n’a désormais plus le choix) gagner ce duel aérien face au massif attaquant rouge d’1m87.
Implications athlétiques et biodynamiques
Ne culminant qu’à 1m83, et titulaire d’une carcasse relativement légère, Marqui a pourtant toutes les peines du monde à faire preuve d’explosivité, qu’elle soit horizontale ou verticale. On voit bien ci-dessous qu’il est incapable d’enchainer un sprint et un saut, en courant vers son but.
Sur le plan de la décision, on peut regretter qu’il préfère un duel de la tête avec Darwin à un 2 contre 1 dans la profondeur avec MacAllister.
D’ailleurs, c’est bien la course de Dumfries – un milieu de terrain, en somme, et non un attaquant – que Konate assume quant à lui de contenir, par son accélération intense.
Elle correspond à celle (hypothétique) de MacAllister, que Marquinhos (et encore… il avait l’aide de Neves) aurait dû assumer en mettant Darwin hors-jeu.
De deux choses l’une : soit il est incapable de produire les contre-efforts offerts par Ramos, Konate et Cubarsi ci-dessus, soit il s’en sent incapable… Problème pour Paris et Lucho : la conséquence est la même lorsque les Rouge et Bleu ratent – à l’initiative de leur capitaine – l’occasion de tuer dans l’œuf le jeu direct de l’adversaire.
L’entame du match de ligue face aux Gunners plaide pour la première option, face au tranchant hybride Martinelli. Alors qu’Arteta dispatche Martinelli et Saka en ailiers hyper larges et plongeants, et qu’Havertz et Trossard opèrent comme une sorte de double-faux-9.
Situation typique de "devant-derrière" pour les centraux parisiens : on voit d’ailleurs Marquinhos est très attentif à Rice entre les lignes.
Raya arme son jeu long, et la défense, assez logiquement et dans un timing correct, active la marche arrière.
Sur 25 mètres, l’ailier Gunner, parti du coin du demi-terrain, en gagne bien quatre sur Marquinhos, et lui passe carrément devant. Le central tentant vainement de lui barrer la route du haut du corps. La sortie hasardeuse de Donnarumma va faire fleurter Paris avec le penalty, et possiblement le rouge, dès la 3e minute.
Une situation tout sauf maitrisée, qui donne le ton de l’instabilité à venir pour Paris. Grâce à cette menace verticale, les Gunners vont connecter à d’innombrables reprises entre les lignes. Sur le but, on voit bien que Trossard et ses quatre options verticales se jouent de l’incapacité des Parisiens à "oser" s’aligner, avant d’envoyer la passe fatale, après une énième feinte de jab.
Un but sur lequel les Parisiens vont rater, à trois reprises, l’opportunité – certes touchy – de s’aligner. Concerné par les deux premières, le capitaine parisien enclenche à nouveau ce recul fatal, par son refus d’aller au contact de Trossard.
La danse des Canards
Comme pour le boxeur, il existe, pour le footballeur, un rapport délicat entre la force des muscles et la mobilité. L’aptitude à opérer sur la pointe de pieds, et à ne pas recruter les talons est également primordiale. Symbolisée par des formes sur des images arrêtées en une simple problématique géométrique, l’orientation est belle est bien coûteuse à bien des égards sur le plan de la force.
Souvent flat-footed, Marquinhos semble manquer terriblement de puissance et d’explosivité dans ses premiers appuis.
En biomécanique, on théorise le polygone de sustentation. C’est la surface au-dessus de laquelle le haut du corps doit rester pour conserver l’équilibre.
Ainsi, maintenir un certain écart entre les jambes est requis pour être stable au contact, comme pour changer de direction, sans tomber. Mécaniquement, le poids du buste descend sur les cuisses qui vont être sollicitées. On remarque sur toutes les séquence de prime-Ramos qu’il recrute la flexion nécessaire à cette stabilité.
Inapte à produire cette efficiente posture, au moment de cadrer ou de se mettre en opposition, on retrouve souvent Marquinhos quelque peu "en canard" au moment d’essayer de faire de même. Dépourvu de cette fameuse capacité à fermer l’axe du but tout conservant une certaine tonicité, ou capacité à changer de direction, ou simplement intervenir.
Après un rebond capricieux sur un long ballon de Konsa, McGinn se trouve le premier sur le cuir. Sur-engagé vers l’avant par ses déplacements quelque peu palmipèdes, le Marqui voit le haut de son corps chassé de ce fameux polygone, alors que les jambes s’engagent vers l’avant, dépourvues de cette "flexion" caractéristiques des Ramos, Alaba, Timber etc..
Alors que McGinn fonce vers le but, s’emmenant la balle de la tête, Marquinhos, n’a d’autre choix que de lui opposer son triceps… Le PSG s’en sort très bien, et à nouveau, le rouge était tout proche. Voire logique.
Alors que l’équipe de Luis Enrique s’improvise plus prudente défensivement, elle repart de Villa Park avec plus de doute que de certitudes à cet égard.
Elle devra certainement composer avec les limites athlétiques, posturales, et (donc) tactiques de son capitaine, dont la capacité de décision et de compréhension tactique n’est finalement peut-être pas le soucis principal…