Analyse tactique - Manchester City vs Real : vers un City de contre-attaque ?
À quelques heures du match le plus attendu par les amoureux de football, Sky Sport vous propose une preview de cette opposition de styles entre les deux équipes les plus impressionnantes de la saison. Car avant d'être une énième revanche ou un match titanesque, ce sera un affrontement tactique entre deux approches pour le moins novatrices.
Au fil de son mandat à City, Guardiola a évolué vers une approche de plus en plus stratégique, axant parfois son plan sur la partie défensive du jeu. Des quatre défenseurs centraux à l’abandon de la possession sur certains matchs, de nombreuses évolutions ont pu être notées, en fonction de différentes caractéristiques adverses. Le Real semble en présenter quelques-unes invitant à ce plan réactif, dont nous allons tenter de détailler les conditions.
Une approche globale, pas forcément offensive
Comme nous l’avions exposé dans notre analyse tactique il y a un an, l’approche offensive de Manchester City se fait en partie en fonction de l’adversaire. L’équilibre à la perte du ballon est fondamental dans leur organisation offensive millimétrée, l'attaque et la transition défensive sont quasiment confondues dans la même phase. Même chose concernant la phase défensive avec la transition offensive.
Comme nous l’avons vu à deux reprises face au Real ces dernières saisons, de nombreux buts sont arrivés en contre-attaque après un pressing payant : Celui de Foden à l’aller en 2022, ou de Mahrez au retour , sans parler des différentes occasions de fin de match de Grealish au Bernabeu.
Mais au-delà de cette interdépendance entre "attaque" et "transition défensive", et entre "défense" et "transition offensive", l’évolution radicale de City se situe dans la hiérarchie entre ces deux couples. Selon le comportement de l’adversaire avec ballon, la partie [défense / contre-attaque] peut carrément avoir le dessus et devenir le cœur du plan de jeu.
Comme tout entraineur de haut niveau, Guardiola prépare son équipe pour ces 4 phases en amont de chaque grand rendez-vous. Son véritable parti-pris tactique réside dans la fluidité avec laquelle son équipe va passer d’une phase à l’autre. City a toujours un plan dans l’utilisation du ballon pour aller étape par étape jusqu’à la finition, mais les sky blues ne se priveront pas d’accéder directement à l’étape finale de la phase offensive, si un plan défensif leur permet d’y parvenir via une interception.
Logique de City face à une équipe verticale
Elle n’a peut-être pas eu la magnitude qu’elle méritait, mais l’annihilation du Real en 2023 par Man City (1-1 à Madrid, 4-0 à l’Etihad) a (entre autre) consacré un homme : Kyle Walker. Le latéral anglais avait littéralement éteint l’un des meilleurs joueurs du monde, Vinicius Jr. en le prenant à la gorge, le rendant incapable de prendre de la vitesse. Hier en conférence de presse, Pep Guardiola n'a d'ailleurs pas manqué de fustiger l'absence de l'international anglais pour le match de ce soir (toujours blessé), après avoir lui aussi, souligné son importance cruciale lors de la double confrontation de la saison dernière.
Face à des ailiers larges comme ceux du Real 2022-23, l’enjeu pour City était alors porté en priorité sur la transition défensive. Le Real était prêt à souffrir sur de longs temps de jeu défensifs, car ses ailiers pouvaient faire du dégât en partant de loin.
Avec Walker au contact de Vinicius Jr, et Akanji au contact de Rodrygo, aucune prise de vitesse ne fut possible depuis cette position large que les ailiers brésiliens du Real affectionnent.
Dans cette configuration tactique, les temps de jeu purement « défensifs » étaient finalement très rares pour City, et l’enjeu principal était la transition défensive. Ou plutôt le couple [animation offensive – transition défensive].
Après le départ de Benzema, l’approche du Real a changé : D’un 4-3-3 très large, le Real est passé à un 4-3-1-2, par la force des choses plus étendu en longueur.
Bellingham a remplacé numériquement le Français dans un rôle de 10, derrière un duo Vinicius Jr. – Rodrygo, dans lequel la largeur est surtout l’apanage du numero 7. Configuration pouvant donner lieu à un certain « entassement » vertical des joueurs madridistes, alors que Rodrygo (attaquant droit) pouvait aller se joindre à "Vini" côté ballon, dans un Real qui penche fortement à gauche.
Face à une équipe qui regroupe plus de joueurs dans l’axe, et relativement haute, l’approche globale de City est différente : Guardiola se focalise sur la phase défensive et avance avec une ligne défensive extrêmement haute et extrêmement compacte.
C’est logique : à partir d’un certain niveau de projection verticale, l’adversaire peut concéder des occasions très franches en cas d’interception d’un Citizen. Problème : il faut créer les conditions de cette interception.
Et si tous les joueurs qui attaquent votre but peuvent être trouvés dans une position licite par le porteur, le ballon ne va jamais être intercepté dans une zone dangereuse.
C’est à ce moment que le hors-jeu pratiqué par City entre dans l’équation.
Le Hors-jeu est une transition
Les premières minutes du match (coup d’envoi donné par Liverpool) sont le théâtre d’une lutte intense pour la maitrise territoriale. Dès le coup d’envoi, les Reds jouent long sur la défense des Sky blues, qui va renvoyer le ballon dans le sens inverse.
En regardant les positions moyennes de Liverpool sur leurs derniers matchs, on s’aperçoit que le trident offensif décrit toujours la même asymétrie : une sorte de duo excentré à gauche Luis Diaz – Darwin, et un ailier droit isolé à droite, souvent Salah, et plus récemment Eliott.
Avec ce 4-3-3 à la limite du 4-3-1-2, le positionnement des Reds décrit une certaine analogie avec celui des Madridistes, dont on a vu qu’ils penchaient à gauche, avec Vini et Bellingham.
On rappelle que City a quitté Anfield avec 47% de possession.
Bien entendu, avec son profil complet, Luis Diaz peut tout aussi bien créer qu’attaquer le but, tout comme Vinicius Jr.. Et Szoboszlai – tout comme Valverde – est un relayeur très plongeant, qui peut parfois faire la course vers l’avant de trop.
C’est là que Guardiola change de braquet en utilisant son animation défensive pour maitriser le match et créer du danger. En positionnant Walker, et Akanji (habituellement à gauche), face au duo Colombiano-Uruguayen, le technicien espagnol se donne la possibilité de jouer le hors-jeu malgré la vitesse de Diaz et Nunez, le tout en ayant Stones en homme libre, pour ressortir court.
Ruben Dias starting on the bench for #ManCity against Liverpool was a 'tactical decision', confirms Pep Guardiola.
— City Xtra (@City_Xtra) March 10, 2024
Pep: “Having incredible three, four central defenders so I decide for Manu [Akanji] for his speed. He’s facing one of the fastest players..." [via @SkySportsPL]
A partir d’un certain niveau de projection adverse, City va se servir du hors-jeu, soit pour récupérer le ballon, soit pour forcer la perte de balle. Le porteur étant nécessairement poussé à la faute avec 2 ou 3 joueurs mis hors du jeu, et des solutions courtes toujours plus limitées.
C’est tout benef’ pour les attaquants de City, qui peuvent mettre les premiers relanceurs adverses sous une pression toujours plus forte. Logique : par le jeu des projections, ils ont moins de relais courts.
Dès la 7e minute, Man City va se créer une grosse occasion en profitant des projections imprudentes des Reds :
Alors que le jeu de City est entièrement conçu pour passer avec fluidité d’une phase à l’autre, comme on le voit ci-dessus, il convient de préciser que le hors-jeu est ici également une transition de la défense à l’attaque. L’attaque est toujours la finalité.
Si des alertes auront eu lieu des deux côtés, l’égalisation de Liverpool vient bien d’une erreur assez grossière de Aké, et les Reds n’auront finalement créé aucun décalage clair en attaque placée. Le poteau de Doku, et celui de Foden, provenant de contres bien préparés, auraient même pu offrir la victoire à City.
Organisation offensive du Real et projection sur le match
C’est une signature qui n’a pas quitté la Casa Blanca depuis les années Zidane : c’est sur les ailes que le Real prépare ses actions, donc nécessairement avec plusieurs joueurs excentrés. Une projection verticale quant à elle bien axiale (dans les halfspaces) est indispensable pour créer du déséquilibre.
Pour faire court, le Real attaque sans structure symétrique, génère une forme de liberté sur un côté, qui va permettre de lancer quelqu’un vers le but.
Si Vinicius est souvent le joueur qui se retourne, la profondeur, logiquement, va être attaquée par Bellingham, Rodrygo et au moins un relayeur, certainement Valverde s’il est relayeur droit.
On peut percevoir cet "entassement", notamment sur le but de Joselu, servi d’un exter génial par Bellingham, à l’aller face à Girona.
Au retour (voir la capture plus haut) ce sont les projections du maestro anglais, passé maître dans ce registre, qui ont totalement détruit Girona.
Néanmoins, tout parti pris a ses inconvénients et celui du Real, de jouer "autour" du bloc adverse, peut se payer très cher à la moindre erreur technique. Les Madridistes ont perdu Courtois (déterminant au pied lors du sacre 2022) et Alaba sur blessures, et n’ont plus la même capacité verticale (pour se sortir de la pression) qu’à l’époque dorée de la BBC.
Illustration face à Girona lors du match aller, où le Real va faire étalage de deux caractéristiques que Man City peut cibler : le manque de structure pour protéger la cage (5 joueurs présents sur l’aile) et le manque de véritable nombre pour attaquer la profondeur.
Savio sort directement sur lui et on s’aperçoit que ni Valverde ni Kroos ne représentent une option crédible de projection verticale.
Une approche qui rappelle particulièrement celle de Man City face au Flamengo de Fernando Diniz, lors de la finale de la coupe du monde des clubs. Un match dans lequel City a ouvert le score sur une contre-attaque…
Une projection sur ce que pourrait donner ce fameux pressing de City dès ce soir:
La plasticité de Guardiola
Ultra-créatif, Pep Guardiola n’en demeure pas moins hyper rationnel et apte au raisonnement. Sa logique, que l’on peut anticiper en se basant sur les matchs cités tout au long de cet article, n’est pas particulièrement absurde : plus l’adversaire est compact, plus City est compact.
A partir d’un certain niveau de compacité horizontale, retrouver de la largeur devient complexe et cela expose Man City a une certaine pression. Pour s’en prémunir, le coach des Citizens a verticalisé son modèle de jeu offensif, jusqu’à manœuvrer sans le cuir pour créer du danger.
Car comme le disait Klopp, à une époque où l’opposition avec Guardiola pouvait paraître plus manichéenne qu’aujourd’hui : le pressing est le meilleur meneur de jeu au monde...