Analyse tactique - Arsenal à la recherche du chaos
Candidat au titre en Premier League, Arsenal développe avec Arteta un jeu offensif fluide et dynamique. Outsider face aux Londoniens – ce qui est déjà un succès pour Arsenal – le Bayern devra trouver le moyen de faire payer à Arteta les risques inhérents à son style de jeu volontairement désordonné.
Les armes offensives d’Arsenal : surcharge et mouvement
Alors que le jeu de position « traditionnel » perd du terrain et semble de plus en plus lisible, la plupart des grosses équipes évoluent offensivement – chacune à leur façon - vers des formules plus dynamiques, verticales et asymétriques. Arsenal ne déroge pas à cette tendance et d’aucuns pourraient considérer qu’ils sont l’un des meilleurs ambassadeurs européens du jeu dit « relationnel » popularisé et incarné par le Fluminense de Fernando Diniz. Avec une touche certainement plus cynique et stratégique, en préparant le plan le moins idéal possible pour l’adversaire, compte tenu de ses caractéristiques intrinsèques.
Lors du retour face à Porto, l’ouverture du score de Trossard est une démonstration des deux partis pris offensifs des Gunners :
- Des permutations/rotations qui privent l’adversaire de structure défensive.
et - De multiples surcharges de zones qui le découragent de presser.
Alors que le football devient toujours plus exigeant, il est de plus en plus dur de défendre de façon totalement zonale. Logiquement, les grosses cylindrées anglaises et européennes se tournent vers des animations défensives avec une certaine dose de marquages individuels au cœur du jeu. C’est aussi le sens (défensif) du recrutement de Declan Rice, bien plus un 8 qu'un 6 à Arsenal. Du point de vue offensif, on retrouve chez Arsenal un certain nombre d’idées de jeu, qui semblent justement pensées pour déjouer ces marquages serrés.
L’ouverture du score contre Porto en est l’illustration :
Le premier objectif que les Londoniens vont atteindre par leurs permutations : générer un homme libre face au jeu.
A : Même s’il ne trouve pas immédiatement de ligne verticale, Gabriel peut confortablement jouer chez Jorginho, qui se retrouve à son tour face au jeu, armé de son redoutable jeu long.
B : Côté Porto, on voit que la structure du milieu de terrain est détruite. Ben White est désormais côté gauche et cela n’a rien d’un hasard si c’est le joueur censé être le plus bas (la pointe basse Varela #22) qui se retrouve fixé par lui, et donc loin de sa défense.
C : Pepe demande à ses collègues de s’aligner, selon un plan certainement étudié et compris par Arsenal : qui va pouvoir accomplir son deuxième objectif comme on le voit avec Trossard en haut à droite de la capture (à gauche du terrain) : détruire l’alignement de Porto.
Transitions
Que ce soit face à Liverpool, Chelsea, Newcastle ou encore Lens, la notion d’entassement / de densification d’une zone est omniprésente dans l’animation offensive des Gunners. Elle s’inscrit en opposition avec l’idée d’une occupation rationnelle et positionnelle du terrain avec des joueurs à égale distance les uns des autres. Un parti pris également motivé par des raisons de transitions défensive.
Face au Reds, lors du succès retentissant (3-1) à l’Emirates en Premier League, la défense haute de Jürgen Klopp fut prise à revers par deux fois dans un registre similaire : une préparation mobile et dynamique, avec la volonté de créer de petits surnombres face au pressing des Reds, puis dès que l’opportunité s’est présenté – via le jeu en remise – l’attaque tranchante de la profondeur qui fait mouche.
Interrogé en conférence de presse après le match sur une éventuelle approche plus contrôlée cette année (la question sous-entend qu’Arsenal a besoin de la verticalité démontrée sur ce match-là), Arteta va clairement prendre position pour une approche dynamique :
« Contrôle, je n’aime pas trop ce mot. Je préfère domination ou submersion (il dit littéralement « ne pas laisser l’adversaire respirer »). Le coach basque poursuit : « le plus important est la zone du terrain dans laquelle les choses arrivent. Et nous pouvons être très chaotiques (il insiste, comme pour montrer à son interlocutrice que c’est bien la verticalité qu’Arsenal recherche) et ouvrir (rapidement) des espaces. C’est une arme supplémentaire à notre disposition ».
Nécessairement, avec une approche offensive "chaotique" - selon les mots d’Arteta - et clairement asymétrique, puisque les Gunners créent des surnombres de petits espaces, la logique en terme de transition n’est pas la même que pour une équipe plus structurée.
Chaque parti pris possède ses inconvénients : Jorginho est dans cet exemple l’unique option courte du porteur de balle (Saliba). Voilà une faiblesse potentielle sur laquelle le Bayern pourrait essayer de tabler.
Non seulement, cela rend une éventuelle passe latérale lisible, mais la solitude de Jorginho peut aussi valoir en cas de transition défensive, avec personne pour le couvrir, ni créer une forme de supériorité numérique. D’ailleurs, City fait en sorte de le mettre sous pression avec Rodri ou Kevin de Bruyne selon les situations et Saliba finira par jouer sur Odegaard, qui ne fera rien du ballon, en évitant toutefois de le perdre dans une zone dangereuse / face à une adversaire capable de jouer vite vers le but adverse. C’est un peu l’histoire de ce match fermé : aucune des deux équipes n’a transformé son impuissance offensive en dangerosité pour elle-même.
Défendre de façon assez risquée pour provoquer l’erreur
Vainqueur en 2021 et finaliste en 2020, Thomas Tuchel a prouvé de très nombreuses fois sa capacité à s’adapter à l’adversaire et ses caractéristiques défensives comme offensives en Champions League. La tâche sera tout de même ardue pour le Bayern, car comme l'a montré l’indigeste match nul face à City : Arsenal n’offrira rien.
Comme nous venons de le voir, le Bayern devra avant tout résister, tout en étant capable de provoquer une perte de balle intéressante. Ce qui implique nécessairement de bien gérer des situations d’égalité ou d’infériorité numérique pour les défenseurs bavarois, souvent dans l’œil du cyclone cette saison. Face au BVB, c’est une perte de balle bavaroise qui a couté l’ouverture du score. Sans ballon, les hommes de Tuchel ont déployé un pressing ambitieux, dans une sorte de 3-4-1-2 voué à mettre les Borussen sous une pression totale.
Avec de nombreuses défaillances et incertitudes derrière cette saison, le Bayern est plus que jamais dos au mur. Malgré tout, les Bavarois ont démontré des choses très intéressantes en attaque rapide face à la Lazio. Avec Müller, Kane, Musiala et Sané, ils sont armés pour menacer l’équilibre des Gunners, en cas de récupération intéressante.
Reste à voir si la solution sera trouvée collectivement dans un match qui s’annonce fascinant d’un point de vue stratégique, alors qu’Arsenal aura à cœur de prendre de l’avance, avant le retour à Munich.