Analyse : Comment les ajustements de Montella ont fait dérailler l’Autriche
Privée de son maître à jouer Calhanoglu, la Turquie surmonté le dynamique obstacle autrichien grâce à un plan bien pensé et bien appliqué. En admettant en amont une certaine incapacité à gérer l’adversaire, Montella a changé son approche et mis l’Autriche dans l’inconfort. Grâce à ses talents offensifs, la Turquie a su piquer au bon moment et fait la différence sur deux corners
Montella contient le style Redbull
Ralf Rangnick est un expert de la verticalité. Que ce soit après la récupération, ou même lorsque son équipe est à l’initiative du jeu. Face à la France, comme lors des deux succès contre la Pologne et aux Pays-Bas, qui ont propulsé son Autriche en tête du groupe E, les garçons, ont à chaque fois su transpercer des défenses, pourtant composées de références mondiales.
Le principe de base est simple : entasser les quatre offensifs du 4-2-[1-3] autrichien sur des espaces si compacts que même la plus compacte des défenses finit par être transpercée, par la capacité des hommes de Rangnick à combiner sur des petits espaces et trouver la profondeur ou même l’espace si la défense recule trop. Si l’on devait synthétiser le principe, on pourrait parler de compacité offensive. Une aptitude mise en lumières par les multiples accomplissements des clubs de la galaxie Redbull ces dernières saisons.
Face à cette approche à double-tranchant, l’une des options pour l’équipe adverse est de défendre en zone, avec quatre défenseurs. C’est-à-dire avec une structure déterminée, qui va créer une certaine densité autour de la balle, et in fine, mettre un ou plusieurs attaquants hors-jeu. L’interception permettant alors de prendre l’équipe verticale à son propre jeu.
Privé de certitudes défensives par la rouste reçue face au Portugal, Montella a tranché dans le vif, et a fait le choix de partir du principe que cette approche (celle qui correspond à son modèle de jeu habituel) ne fonctionnerait pas, face à la capacité de combinaison sur des petits espaces des Autrichiens.
Le technicien italien a donc changé de braquet, et opté pour un back3 inédit composé de :
- Bardakcı (qui revenait de suspension)
- L’habituel 6 Kaan Ayhan
- Le revenant Merih Demiral, propulsé titulaire par la suspension Semet Akaydin
Dès l’entame, après la rapide ouverture du score, entre contre-attaque et attaque placée rapide, on va vite voir le parti pris sensé des Turcs :
Les Autrichiens placent trois attaquants et un 10 sur 15m de largeur. Côté turc : pas de sous-nombre assumé ou quoi que ce soit du genre : trois défenseurs et Yuksek (en quasi individuelle sur Baumgartner) en quasi un pour un, et lorsqu’un attaquant propose une course verticale, on le suit, on le contient, avec une hiérarchie des priorités claire : tenir le dos face à une équipe explosive offensivement.
On voit que les latéraux, à l’image de Kadioglu ci-dessous, occupent une position très axiale, et gèrent les courses diagonales des ailiers vers le but. Les Turcs gardent l’idée de s’aligner, mais sans prendre le moindre risque, en cas de doute.
Si le bloc bas décrivait une sorte de 5-4-1 avec Arda seul devant, en bloc haut les Turc pouvaient compter sur leurs deux faux ailiers pour gêner les centraux, alors que Arda et le double pivot opérait en quasi individuelle face au cœur du jeu des autrichiens. Une sorte de 5-2-1-2 très approprié à l’adversaire.
Une approche qui portera d’ailleurs ses fruits en transition, avec l’énorme situation créée par Yilmaz, sur un contre parti d’une situation en bloc bas. Sans vrai repères à la perte du ballon face au 5-2-3-0 des Turcs, les Autrichiens sont mis en péril par la résistance au pressing de Kokcu.
Yilmaz se tourne, prend de la vitesse, et son homologue Yıldız manque de lucidité après une course de 80e.
Pendant les temps faibles de la seconde mi-temps, Guler - aligné faux 9 de ce 5-2-3 - sera hyper précieux par ses temporisations dos au but.
Un 5-2-1-2 qui gêne la zone de Rangnick
Avec le ballon, on fut surpris dès les premiers instants de retrouver Bardakcı très large, comme un faux latéral, à la manière d’un Bastoni. En déformant son back3, Montella permettait à nouveau de contrarier l’approche adverse : Rangnick aime défendre en zone, de façon compacte, et orienter la possession adverse vers les côtés.
L’idée est de laisser ses ailiers (Sabitzer à gauche et Schmid à droite) cadrer le (un seul joueur) porteur adverse au large, en comptant sur un bloc dense pour générer des prises à deux et des couvertures, si l’adversaire cherche le jeu intérieur. Tout en mettant les attaquants hors-jeu par un bloc idéalement court verticalement. Idéalement, cette approche permet de maintenir une pression "totale" sur l’adversaire et ses premiers relanceurs.
Mais là ou Rangnick attendait un seul joueur, la Turquie – à la manière de l’Inter, ou de la Hongrie – en positionne plusieurs. À droite, Muldur offrait un relai court à Ayhan (DC droit); et à gauche, Ferdi Kadioglu en offrait un à Bardakci (DC gauche). Dispos et adroits, Kokcu et Yuksek se proposaient également court, et avaient le mérite d’aspirer Laimer, alors que les deux attaquants rouges sortaient sur Demiral et le central décalé.
Le plus gênant pour l’approche défensive de Rangnick était certainement le comportement des trois attaquants Turcs, qui donnaient à l’équipe cette forme en 5-2[1-2]. Les deux faux ailiers (le jeune juventino Yıldız et le Lion B. Yilmaz) occupaient chacun l’espace entre le central et le latéral autrichiens, alors que Güler se promenait entre les lignes.
Problème : la forte (et nécessaire) pression des deux attaquants appelle celle de Laimer au cœur du jeu dans une sorte de 4-1-3-2, comme on le voit plus haut avec le ballon à gauche. À ce moment-là, l’autre 6 (Seiwald) devient le seul protecteur de la défense. En se positionnant loin de sa "zone", Arda Guler, en même temps qu’il forçait une relance difficile de ses centraux, se trouvait "irrécupérable" entre le milieu et la défense.
Tout comme la France, la Turquie a été là ou l’Autriche l’a emmenée : l’extérieur de son bloc. Mais elle l’a fait selon ses termes. En surnombre. Et ce en essayant de perdre un minimum de ballons dans les zones dangereuses, ou du moins permettant aux Autrichiens de trouver du déséquilibre après une éventuelle interception.
Tous ces éléments ont accouché d’un match haletant, rappelant plus que jamais que le but se situe dans l’axe du terrain, et qu’il convient de l’attaquer quand on a le ballon, et de le protéger quand on ne l’a pas ou qu’on vient de le perdre. La Turquie finit le match n’ayant commis que cinq fautes, mais des interventions extrêmement nécessaires face à la puissance verticale de l’Autriche.
Illustration parfaite avec celle – disons mature – de Kökcü sur Baumgartner à la 11e minute. Après un ballon vertical perdu, les sorties de Bardakci, puis de Ayhan, sont évitées, alors que le rideau des milieux est cassé. L’ancien joueur du Feyenoord découpe proprement celui du RBL, et remet la Turquie à l’équilibre.
On remarquera aussi la prudence extrême avec laquelle Demiral anticipe l’appel courbé de Arnautovic.
L’Autriche corrige, et appuie
Les Autrichiens corrigeront le tir offensivement au retour des vestiaires. Pris à 3 au milieu de terrain, ils vont intensifier leur présence axiale avec une sorte de "carré". Sabitzer et Baumgartner (passé ailier droit), vont aller se situer entre les lignes, dans une position ultra-axiale. Trop loin pour être suivis par les centraux, et dans une zone ou les infatigables Kokcu et Yuksek doivent déjà gérer Laimer et Seiwald.
Pour tenir, les Turcs n’ont d’autres choix que de solliciter leurs ailiers pour resserrer au maximum, et proposer le plus compact des 5-4-1. Pour autant, le surnombre intérieur va payer, et créer l’énorme occasion de la 54e.
Même si c’est finalement le latéral qui est servi. La sortie hyper bien timée de Mert Günok ne laisse pas le temps à Arnautovic de s’organiser, alors que Ayhan avait lâché sa course, sans couverture de Demiral.
Les corners
Si Calhanoglu est sans doute l’un des meilleurs tireurs de coup de pied arrêtés au monde, l’un des enseignements de ce match est certainement la qualité d’Arda Guler dans l’exercice. On remarquera que lors de deux premiers matchs (Arda était sur le banc face au Portugal), le Madrilène était déjà le tireur attitré, malgré quelques coups de bluff avec son capitaine. L’absence de Calhanoglu était donc moins préjudiciable que prévu. Par contre, la dimension surprenante du scenario résidait dans le fait que l’Autriche n’avait pas encore concédé de reprise cadrée sur corners dans le tournoi, alors que la Turquie n’en avait pas encore cadré une seule.
Privé de cible / leurre pour le jeu court avec la suspension de leur capitaine, les Turcs ont donc logiquement cherché immédiatement la boite. Sur les quatre corners qu’ils se sont procurés, les hommes de Montella ont toujours cherché la même zone. Défensivement, l’Autriche opte pour une zone totale, en 5-3-1 + 1 joueur pour gêner le jeu court (ça fait 10 joueurs de champ, soit toute l’équipe).
Le 1-0 arrive de façon heureuse – ou plutôt grâce au manque d’action définitive des Autrichiens, mais on identifie une combinaison :
Un bloc de Yuksek sur Lienhart pour Bardakcı, qui va rater le ballon dans son duel avec Danso.
Partant de plus loin, Demiral est géré par Arnautovic, mais lui échappe sur le second ballon, après le "tir contre son camp" de Baumgartner. L’ancien Bergamasque ne se fait pas prier et fusille Pentz. 1-0.
Sur le second, Demiral va attaquer la zone que Bardakcı avait attaquée, mais le ballon est coupé par Lienhart, qui parvient à écarter Yuksek.
Les Turcs vont continuer à viser cette zone, en apportant des variations. Sur le 3e, pas de bloc de Yuksek, qui plonge devant Lienhart, pendant que Demiral et Bardakcı attaquent la même zone, et Demiral rate son geste malgré qu’il soit parvenu à devancer Danso.
Le 4e corner est fatal. 50 minutes s’écoulent entre celui-ci et le précédent coup de pied arrêté. Les changements apportent d’ailleurs également une dose de confusion qui va faire la différence : C’est Salih Ozcan qui remplace Yuksek dans le rôle du bloqueur. Côté autrichien, Gregoritsch fait son apparition dans la ligne en zone, à la place de Seiwald qui va au jeu court pour Schmid, sorti. On remarque que Prass (#8) se croit certainement le joueur préposé au jeu court. Toujours est-il que les Autrichiens déploient cette-fois-ci un 5-2, au lieu du 5-3 prévu initialement. Arnautovic est surpris par le mouvement de Kaan Ayhan, qui repasse dans son dos.
L’Autriche n’a plus de 2e ligne, si ce n’est Sabitzer au marquage du costaud Bardakci. Face à la première ligne, Salih Ozcan bloque Lienhart efficacement :
Détails et rigueur font la différence
Avec une organisation très bien pensée et une énorme rigueur tactique, alliée à un don de soi total, la Turquie se cale sur les standards actuels du foot de sélection, qui – on le voit dans cet euro – ont drastiquement augmenté. En gagnant tactiquement la 1ere mi-temps, Montella a forcé des changements qui se sont finalement avérés fatals sur le corner du 2-0. Malgré une approche humble, qui concédait une certaine supériorité de l’adversaire, les Turcs ont démontré un certain talent technique individuel. Ils auront fort à faire face à une Hollande qui a soufflé le chaud et le froid, et parfois manqué de rigueur… pour un match à nouveau épique, sans aucun doute.