Analyse : Comment Arsenal tire ses corners ?
Sous la direction du Français Nicolas Jover, entraineur dédié aux phases arrêtées, Arsenal jouit d’une énorme efficacité dans le domaine, fruit d’un travail isolé particulièrement méticuleux. Avant le choc face à City, tentative de pénétration de la logique des Gunners sur corner, entre leur plan et leurs adaptations selon l’approche adverse
Des phases statiques décisives
Avec 24 buts inscrits depuis le début de la saison 2023-24, Arsenal est l’équipe la plus prolifique sur coups de pieds arrêtés (une statistique qui inclut également les buts marqués sur coups francs directs et indirects).
Cela va sans dire, le gain est tout sauf marginal, en témoigne le cours succès chez le voisin honni Tottenham, d’une courte tête (1-0) du central brésilien Gabriel sur corner. Des Spurs que les Gunners avaient déjà battus chez eux en fin de saison dernière, menant rapidement 3-0, avec deux coups de pieds de coin convertis.
Interrogé par Canal Plus à l’hiver 2023 sur les conditions de la conservation du trophée européen, Guardiola va dresser une liste de vertus, à la tête de laquelle il met spontanément la qualité du travail défensif sur ces phases statiques. « Si nous sommes assez humbles pour bien défendre chaque coup de pied arrêté, (…) ». Chose faite lors du décisif (et ultra-verrouillé) City – Arsenal de la 30e journée. Conclu par un 0-0 qui permettra à City de conserver sa couronne.
Même si la prise de conscience méthodologique, incarnée par le technicien français, est assez récente, c’est aujourd’hui un fait incontestable, et de plus en plus démocratisé : les coups de pieds arrêtés sont une phase de jeu absolument décisive, et sont donc travaillés comme tel dans les clubs. Arsenal émerge comme le leader dans le domaine. Tentative d’analyse de leur logique offensive.
Un troupeau au troisième poteau
Bien entendu, il serait impossible de deviner l’intégralité du processus méticuleux des Gunners, qui change selon l’organisation et un certain nombre de caractéristiques de l’adversaire. Cela dit, comme le font certainement leurs adversaires, on peut dans un premier temps tenter de lister ce qui ne bouge pas, à chaque fois qu’Arsenal tire un corner. Car nécessairement, le défi logistique est de taille dans le court temps dont disposent les adversaires pour anticiper les combinaisons des Londoniens, et – les joueurs ayant énormément d’infos à assimiler – être synthétique est une condition de l’efficacité des staffs, au moment de s’organiser pour ne pas faire partie des nombreuses victimes des Gunners.
Première constante : tous les corners d’Arsenal sont tirés rentrant. À gauche, le droitier Declan Rice est le botteur, alors qu’à droite le gaucher Saka est le choix numéro 1.
Si l’approche varie selon l’organisation défensive adverse (voire plus bas), un parti pris iconoclaste se dégage : un attroupement de cinq joueurs, souvent au-delà de la surface de but au second (ou plutôt, au 3e) poteau. Trois autres joueurs proposent autre chose : un autour du point de penalty, deux à l’entrée de la surface, dont un qui offre parfois une solution courte.
Un total qui porte à neuf, tireur compris, les joueurs impliqués, avec un joueur restant en couverture.
Une chose importante : contrairement à ce qu’on pourrait voir habituellement, Gabriel, central et arme la plus létale des Gunners sur corner, ne fait (souvent) pas partie du « troupeau principal », mais des joueurs isolés.
Ici, le duel créé avec Tolisso fera mouche, permettant aux Gunners de scorer un second corner, sécurisant la victoire.
L’adage célèbre - et marqué par le sceau du bon sens - « premier poteau, premier servi » n’est pas forcément antinomique de ce parti-pris surprenant. Et c'est donc naturellement que ce groupe va systématiquement se ruer vers cette zone décisive, proposant un premier dilemme à l’adversaire : lâcher des hommes ou lâcher le but / premier poteau ?
Point de logique nécessaire : le ballon peut conserver sa vitesse avec une trajectoire tendue au premier poteau, alors que pour atteindre le second, il devra nécessairement la perdre, avec une trajectoire plus courbée / lobée. Ce qui facilite aussi la tâche du gardien.
Les corners d’Arsenal selon l’approche défensive adverse
Comme dans tout sport, on distingue en général, trois approches défensives :
- Marquage individuel : chacun contrôle/poursuit un adversaire, en dépit de toute structure.
Vertu théorique : responsabilisation
- Marquage en zone : on conserve une structure, qui dictera l’échange des marquages, en priorisant la protection du but.
Vertu théorique : pas de zone cruciale abandonnée / protection de la cible par la structure
- Marquage mixte : Un certain nombre de joueurs se comportent en zone, et d’autres en individuelle.
Objectif : combiner les vertus des deux approches
Dans un entretien accordé à l’Équipe, N. Jover explique classifier en marquage individuel une équipe qui utiliserait jusqu’à trois joueurs en zone. À partir de quatre joueurs dénués de repères individuels, il considère donc qu’une équipe défend en mixte.
Il convient de préciser que les approches sont assez variées au plus haut niveau :
- L’Inter, finaliste de la Champions League 2023, défend en individuelle (seulement deux joueurs en zone). Le PSG (dont on avait détaillé ici les déboires face à Dortmund) défendait en individuelle jusqu’à l’an dernier (seulement trois joueurs en zone), et est passé à quatre cette année, donc en mixte.
- Man City, qu’Arsenal retrouvera cet après-midi, défend dans une zone intégrale.
Tentons donc de détailler l’approche des Gunners selon l’organisation adverse.
Face aux mixtes :
Les Gunners ont donc trouvé la faille sur corner face à Tottenham. Comme le PSG, les Spurs opposent une défense mixte aux Gunners, avec certains ajustements réalisés pour l’occasion. On le voit ci-dessous, les quatre joueurs « zonards » sont, du côté ballon au second poteau : Porro (latéral), Solanke (9), Bentancur (6) et Udogie (latéral). On retrouve souvent la défense à quatre dans ce premier rideau chez les mixtes.
Viennent en suite les marquages.
On retrouve chez Arsenal dans le groupe de cinq :
- Saliba (défenseur central droit)
- White (latéral droit)
- Havertz (second attaquant)
- Partey (milieu défensif droit)
- Martinelli (ailier gauche)
On remarque que Saliba et White (souvent préposé à gêner le gardien) ont « embarqué » leur marqueurs (Van de Ven, central gauche et Maddison, 10) dans la surface de but, où travaillent les Spurs en zone (les marquages sont symbolisés en orange ci-dessus).
Toujours est-il que, comme dit plus haut, Gabriel n’est pas dans ce groupe de cinq. On le voit ci-dessous, marqué par le central champion du monde Romero, et donc largement identifié comme danger par les Spurs.
Alors que Saka annonce la combinaison, le groupe de cinq déclenche ses courses. Saliba et White vont prendre une position préférentielle devant le gardien, une habitude face aux mixtes.
Martinelli (#11) - laissé de fait seul au second (l’intérêt du dilemme expliqué plus haut par rapport au premier poteau) - s’élance dans une course courbée pour se positionner devant le zonard Bentancur (#30)
Saliba a une position préférentielle pour marquer (il se fait un écran pour lui-même en quelques sorte), et surtout, Saliba et White ont réussi à totalement dégager le gardien de l’équation. Comme on le voit ci-dessous, le portier ne peut pas intervenir. Martinelli (se) fait également de la place : tout indique le ballon va tomber dans le cercle vert (ci-dessous) au premier poteau, à l’intérieur de la surface de but. Une zone où il suffit de toucher le ballon pour marquer.
On précise rapidement que Havertz a fait le travail pour mobiliser le joueur en zone au premier poteau, tout en embarquant son joueur.
Logiquement, Bentancur, zonard, (#30) se responsabilise : c’est lui qui vient dans cette zone pour nettoyer la raquette.
Mal lui en prend : Saka va en réalité chercher Gabriel juste à l’entrée de la surface de but. Comme face à l’OL, le Brésilien va faire mouche
Lorsqu’on étudie son duel avec Romero, on voit bien qu’à l’instar d’un attaquant dans le jeu, il réalise un appel-contre-appel. Il fait croire à son marqueur qu’il va lui passer devant, pour mieux lui passer dans le dos. Conscient qu’il ne peut pas se permettre d’être devancé au premier poteau (la zone la plus fatale), Romero cède et se sur-engage. Certainement informé de l’endroit où le ballon va (ou peut ?) tomber, Gabriel est là pour finir, avec un timing et une motricité parfaite. Filoche, et 3 points.
Une menace (le ballon qui tombe dans la surface de but) déjà mise à exécution précédemment, face à Burnley. Cette fois, c’est Saliba qui avait fini à bout portant, après s’être fait de la place pour lui-même.
Schär et Botman, les deux tours de la défense, vont être particulièrement perdues face à Gabriel et Havertz. Trippier, dans une logique de taille, s’occupe de Kiwior.
Les défenseurs essaient de garder chacun leur homme, malgré les mouvements Gunners. Havertz va tenter de bloquer Botman. Même si Havertz fait son possible pour le gêner, Botman semble lâcher Gabriel volontairement.
On peut s’interroger sur cette passivité. Botman semble sûr de lui, Gabriel se dirigeant vers une densité de joueurs en zone. L’adversaire ne sait en quelque sorte pas comment hiérarchiser les priorités face à cette proposition initiale absurde, et certainement fruit d’un raisonnement poussé.
Une fois de plus, le travail est fait pour libérer une zone au premier poteau, et Isak semble incapable de gérer ce joueur qui arrive de derrière lui, comme le gardien de Burnley plus haut. Saliba fait aussi ce qu’il faut pour solliciter son attention.
On le voit ci-dessus et dans la vidéo du but : Saliba est à la limite de l’écran mobile. Une limite de la loi clairement établie en basket, mais pas en football.
Sur les parquets contrairement à la pelouse londonienne, son bloc sur Longstaff n’aurait surement pas été accepté et ça fait mouche.
Que retenir de tout cela ?
Au-delà de la qualité du raisonnement et travail en détail, un constat s’impose : Le troupeau du troisième poteau est un leurre, une menace rarement (voire jamais...) véritablement mise à exécution, au second poteau.
Face aux zones intégrales :
Ainsi, pourquoi ne pas défendre en zone, et abandonner dans une certaine mesure ce troupeau ? C’est la solution adoptée par West Ham. Les Londoniens vont également craquer, mais ne semblent pas particulièrement au fait de la logique des Gunners.
Ils sont battus sur une combinaison assez simple :
- Bloc de White sur (la droite de) Areola.
- Bloc de Kiwior sur Aguerd.
- Courses courbées de Saliba et Havertz, qui vont venir cueillir le cuir dans la zone protégée par White et Kiwior.
- On peut même identifier un bloc de Saliba sur Alvarez, particulièrement tendre.
Arsenal crée des blocs pour libérer une fenêtre de tir facile.
Cela dit, force est de constater que le ballon ne va pas, en réalité, au troisième poteau, au-delà du but. Là où se situe le « troupeau » initial.
Ainsi, l’approche de City, qui va ignorer cette menace, pour se concentrer sur la protection de son but, fait sens.
City oppose une énorme densité au premier poteau, où le seul De Bruyne (l’un des plus petits) dépasse le prolongement du poteau.
Derrière lui, les colosses Haaland et Rodri forment un premier mur zonal, couvert de près par Ake.
Au milieu de la surface de but, Ruben Dias semble assigné à un rôle de « libéro », alors qu’au second, on retrouve Akanji et Gvardiol, accompagnés de Bernardo.
Après la sortie sur blessure de Ake (1m80) remplacé par Rico Lewis (1m69), on remarque que c’est Akanji, (1m86 et un des plus gros jumps de l’équipe) qui est mobilisé pour remplacer Aké, à la pointe du « losange » au premier poteau. Une figure compacte, qui semble taillée pour les multiples fausses pistes des Gunners dans cette zone.
C’est criant sur les quatre corners défensifs de City : De Bruyne est seul préposé à se responsabiliser en termes de marquage, mais Rodri et Haaland sont très prudents, et de toute façon couverts par Ake, puis Akanji. Posté au centre de la surface de but, Ruben Dias tient certainement lieu d’informateur.
Globalement, une attitude rejaillit : les Citizens se concentrent sur la trajectoire du ballon et sur leur timing. Les bras sont également utiles.
Au second on remarque que les coups d’oeil vers Gabriel et Havertz sont nombreux. On est à la limite du marquage mixte avec Gvardiol, puis R. Lewis (même face à Gabriel, c’est dire si le 1er poteau est priorisé…), mais il n’y a pas de perte de structure.
Alors que Jover a passé deux saisons à City, sous la direction de Guardiola, une attitude interpelle : celle de Ben White, alors qu’Arsenal tire un corner pour le titre. Habituellement opiniâtre dans sa persécution du gardien adverse, il ne s’acharne pas, et ne cherche pas la bagarre avec Ortega, qui le chasse sobrement du bras.
Pourquoi est-il si timide ? Un bloc « déclaré » sur la droite d’Ortega (comme face à Areola) serait-il une manière de divulguer la zone qui va être cherchée ? Le 2e poteau, où le gardien / les défenseurs semblent prêts à intervenir.
C’est ce qui se passe sur le premier corner, capté assez sereinement par Ortega.
Dans ce match retour, seul le premier corner tente d’atteindre le second poteau, et sera capté. Les trois autres seront nettoyés par le « losange » du premier poteau.
On peut être sûr que les Gunners vont proposer de nouvelles choses à City cet après-midi, et le PSG aura également fort à faire dans 10 jours à l’Emirates.
Un enjeu crucial du match et donc de la saison de Premier League, alors que City compte déjà deux points d’avance sur les Gunners, malgré leur mojo, toujours d’actu, sur coup de pied arrêté.