5 dedans – 5 dehors : Luis Enrique réinvente le jeu de position au PSG
Un temps courroucé pour sa dimension supposément trop statique, le PSG de Luis Enrique a atteint sa pleine mesure au cours d’un hiver ultra-prolifique, où il a annexé la Ligue 1, explosé Man City dans un match couperet, avant de réitérer le massacre à Stuttgart puis face à Brest. Guidé par une idée fixe, le coach asturien est parvenu à développer une animation fluide et extrêmement difficile à contre-carrer pour ses adversaires.
S’il convient de diviser le jeu en quatre phases, entre l’attaque, la défense, et les deux passages de l’une à l’autre, l’attaque elle-même peut se subdiviser en deux ou trois phases, de l’initiation à la conclusion des temps de jeu. Cette nomenclature est particulièrement nette chez le PSG de Luis Enrique, qui déploie une organisation distincte entre le début, le milieu, et la fin de ses temps de jeu placés. Donnant lieu à différents scénarios selon le comportement et les caractéristiques de l’adversaire, notamment en termes de hauteur de bloc.
4-2-4 : largeur et profondeur
Tâche ardue que celle d’attribuer nominalement des rôles dans une organisation aussi mobile que celle du PSG, dont l’appétence pour la souplesse collective semble s’être accentuée ces dernières semaines. C’est tout de même ce que nous allons tenter de faire, en partant du principe de bon sens que l’entraineur de très haut niveau est bien obligé de formaliser son projet, en dépit des innombrables variables, souhaitées ou contraintes.
Premier constat : le PSG a plusieurs systèmes dans son système.
Un premier pour initier ses actions en cas de pressing haut adverse, qu’on pourrait appeler 4-2-4. Et dont le principe est assez simple : étirer l’adversaire en largeur et, souvent, chercher directement la verticalité depuis un central ou un latéral.
C’est la première menace que présente ce PSG à un bloc haut, et le premier dilemme qu’il offre aux défenseurs adverses : des ailiers à la fois larges, et capables de fondre vers le but.
Des rôles initialement taillés sur mesure pour Barcola et Dembélé, le natif d’Évreux apportant une touche technique supplémentaire avec son ambidextrie, et donc la possibilité (en plus de la profondeur directe) d’un chemin intérieur, toujours plus dur à gérer pour le latéral d’un bloc haut qui viendrait le chasser.
Avec l’émergence de Doué et le recrutement de Kvara, Paris s’offre une émulation et une concurrence prometteuses dans ces rôles. D’autant plus que Dembélé s’épanouit désormais dans l’axe, alors que Doué rayonne sur l’aile droite.
D’ailleurs, l’ancien Rennais donne le ton en début de match face à City, avec une première semonce, en utilisant cette ligne directe arrière droit – ailier droit.
Un plan initial qui dernièrement évolue vers une sorte de "losange géant" comme on le voit brièvement ci-dessus à 4’02’’, mais qui conserve l’idée d’une défense à quatre qui écarte, et de deux ailiers hyper larges et plongeants. À défaut de marquer directement, Lucho s’offre avec ce 4-2-4, la possibilité de faire reculer l’adversaire, réalisant ainsi le premier objectif de toute sortie de balle : s’installer dans le camp adverse.
3-2-2-3 : 5 dedans - 5 dehors
Le second système, prévu pour la seconde des trois étapes théoriques de l’attaque, qu’on pourrait appeler "construction", est le cœur du plan de jeu de Lucho. Et c’est certainement dans cet aspect que son projet parisien dénote le plus de ses précédentes équipes, plus mécanisées, en dépit d’une verticalité certaine. Toujours est-il que le PSG s’organise avec ballon, face à un bloc replié, en 3-2-2-3. Un système dans l’air du temps, plus communément appelé "3-box-3".
Un modèle de jeu que nous avions passé en revue ici, alors que Man City survolait la LDC avec une utilisation du ballon aussi mécanique qu’équilibrée à la perte. Les prérogatives de Stones, à la fois milieu et défenseur, comme celle d’un Gündoğan devenu attaquant, allaient dans le sens de séparer en deux groupes les dix joueurs de champ : cinq qui initient l’action (et s’occupent de la transition défensive), et cinq qui la concluent. Sorteurs de balle et changeurs de rythme. Un système clairement conservateur et restrictif pour les cinq joueurs "en base".
Lucho semblait développer le même modèle à Paris, mais force est de constater que dans le sien, les dix joueurs de champs se divisent autrement : cinq joueurs à l’intérieur du bloc, et cinq à l’extérieur.
Comme vu plus haut, le 3-2-2-3 se dispatche initialement comme suit :
- Un back3 [central droit - central gauche – latéral gauche] (Marquinhos – Pacho – Nuno)
- Les deux milieux « défensifs » du 4-3-3/4-2-1-3 mentionné plus haut : (Vitinha – Joao Neves)
- Un double relayeur offensif, souvent composé (notamment en début de saison) d’Hakimi (latéral droit) et du troisième milieu de terrain (le 2e attaquant axial du 4-2-4)
- Au large, la paire d’ailiers qui étire (et rompt !) souvent fatalement, le back4 adverse, et un 9 très libre
Ainsi, le premier et le dernier des 4 groupes ci-dessus forment les joueurs extérieurs (le back3 et les 2 ailiers). Alors que les deux autres (la "box" et le (faux) 9) constituent un groupe intérieur. 4 (la box)+1 (le "9").
Comme on le voit ci-dessus, Dembélé (ou plutôt l’ailier droit, en l’occurrence Doué) et Hakimi changent allègrement de "cinq" entre l’intérieur et l’extérieur. Le Marocain ayant (également) une activité large assez fréquente.
Le PSG ne s’interdit pas de créer les premiers losanges du jeu de position traditionnel, mais, comme va le voir, il n’y a pas vraiment de 6, d’où une autre forme de conservation.
Small ball
Sur ces solides fondations positionnelles, base d’une possession dictatoriale, Lucho a donc moulé des finitions relationnelles (voire rotationnelles), en tout cas dynamiques, qui permettent de changer de rythme, et de créer des surnombres sur de petits espaces.
Capables de tirer profit des vertus d’une répartition équitable en largeur, les Parisiens sont également capables de se regrouper, comme aime à le faire par exemple le Real Madrid, à priori (!) aux antipodes de Lucho.
Pour faire simple, c’est la prérogative des cinq intérieurs, comme l’indique les flèches du schéma ci-dessus.
Une fois le contact trouvé avec l’une ces cinq options intérieures (qui bougent et permutent sans cesse, en quelques sorte, un quintuple faux 9), les Parisiens appliquent le sacro-saint principe du 3e homme. Ou plutôt du 3e homme lancé. Qui peut aussi être un des deux "ailiers".
Ce qui représente donc sept possibilités à envisager pour l’adversaire…
Illustration face à Stuttgart :
- Communication entre WZE et Lucas pour savoir qui va intérieur / extérieur
- Le "6" parisien a même le loisir de se projeter, alors que Dembélé vient se rapprocher de Vitinha (et que Neves se projette)
- Les cinq intérieurs Parisiens sont très proches, face au bloc compact de Stuttgart
- Une fois face au jeu, Vitinha cherche à s’ouvrir plusieurs angles de passes
- La prolifération de Parisiens du "cinq intérieur" entre les lignes mobilise les défenseurs
- Idéalement, Vitinha trouve Hakimi lancé. Le Portugais passe par Neves, et Hakimi est hors-jeu pour une demi-seconde
La rupture avec le jeu de position « traditionnel » (si tant est qu’il existe...) se situe d’abord dans cette proximité entre les cinq intérieurs, prompts à constamment changer de position, y compris les 6, et y compris vers l’avant.
Que ce soit dans l’axe, pour ouvrir une passe intérieure, ou sur les côtés, pour combiner et envoyer (souvent) Hakimi en profondeur, la notion de "compacité offensive" ou de "regroupement" est omniprésente, et fait vivre un calvaire aux centraux adverses.
On la retrouve au large sur le (quasi) 3-0, et on voit que la profusion de joueurs intérieurs interligne offre un dilemme aux centraux adverse :
- Sortir pour empêcher la connexion interligne
- Rester dans l’alignement pour se prémunir de la course diagonale d’un extérieur
Al-Dakhil (DC droit) choisit son poison, et suit Zaïre-Emery, qui vient offrir un soutien à Lucas. Le Français combine avec Barcola et le lance dans le gouffre créé.
Bien entendu, une attitude passive des centraux (et de premiers presseurs trimballé par la possession…) sera punie dans le dos, comme ce fut le cas face à Brest, que le PSG va retrouver en barrage.
Si la défense adverse recule en bloc, c’est entre les lignes que les extérieurs vont connecter. Un espace ou Lee s’illustre en faux 9, capable de se tourner et d’enchainer vite sur un petit périmètre avec son pied gauche.
Illustration sur le premier but refusé face aux Citizens, dépassés par le jeu à la fois structuré et bordélique, large et dense, des Parisiens :
On y voit bien la liberté vers l’avant du double pivot, offrant toujours plus de ligne de passe pour le « large » trouvé dans les pieds, et le côté « 3-0-7 » de cette animation offensive ultra-variée et idéalement illisible pour l’adversaire.
Le match face aux Anglais, surclassés et privés de ballon dans des proportions inédites, porte aussi le sceau de la dimension adaptative de cette organisation, avec une stratégique claire, basé sur ce fameux 3e homme lancé :
- Fixation des trois attaquants avec la base à trois
- Fixation de De Bruyne et Bernardo avec le double pivot
- Recherche d’un appui au large (piston du 3-box-3)
- Soutien d’un 6, alors que trois joueurs (intérieurs) pèsent sur la défense
- Soutien -> 3e homme profondeur
À condition de neutraliser la couverture de Kovacic (qui ne pouvait pas aller jusqu’à la ligne de touche…), Paris avait la possibilité de faire partir quelqu’un dans le dos, grâce à la fenêtre de passe générée par le petit jeu.
C’est net sur le premier décalage qui lance Hakimi dans le dos, et cartonise Ruben Dias, dès la 9e.
D’ailleurs, cette notion de regroupement est explicitement demandée par Marquinhos à ses copains face à City, alors que Paris met la gomme après le 0-2. Sur la suite du temps de jeu, le soutien de Ruiz – qui fait sortir le central droit - est décisif, dans le même registre.
Perdu entre Dembélé, Ruiz, et Hakimi, Kovacic vit un calvaire. Paris perfore, finalement, le bloc Citizen qu’il travaille en largeur depuis une heure. On voit d’ailleurs sur l’ensemble de la séquence la nette capitulation des attaquants.
Jusqu’au-boutisme, utopie et transition def
Si l’on devait résumer la dialectique interne de ce PSG : Quand Johan Cruyff dit "le ballon court plus vite que le joueur", Enrique répond "le joueur va courir quand même". Un élément d’ailleurs mentionné par le coach Brestois Eric Roy.
👀 Eric Roy est revenu sur la défaite brestoise face aux hommes de Luis Enrique.
— RMC Sport (@RMCsport) February 2, 2025
Au micro de RMC, le technicien a confié avoir été plus impressionné par le PSG que le Real Madrid en assurant que la qualification en 8es relève d'une "mission impossible"https://t.co/rgdfubGaVO pic.twitter.com/JuijazyKlY
Avec ses essaims de joueurs intérieurs, l’Asturien transcende les principes de triangulations basiques qui permettent d’occuper la largeur et de fixer la première ligne adverse. Luis Enrique préfère modifier son jeu de position que sa stratégie, et refuse de céder à une approche plus calculatrice.
Collectivement, l’animation offensive est en état de flow et elle figure sans doute parmi les meilleures d’Europe. C’est certainement la plus imprévisible et la moins dépendante d’un seul élément.
Les jeunes ont l'habitude de reprendre les éléments de langage du coach. Mobilité et variation reviennent sans cesse. C un aspect qu'on retrouve dans les matchs.
— Victor Lefaucheux (@Premieretouche) October 5, 2024
Pas sûr que les critiques les plus acerbes soient capables de nous dire qui joue où dans ce jeu prétendument statique https://t.co/Qj185NFn22 pic.twitter.com/s0EdP7RTEa
Inflexible, Lucho mise tout sur cet atout. Si son PSG était plus fort défensivement, il compterait parmi les grands favoris de cette Champions League.
Nécessairement, la dimension déstructurée de cette approche n’est pas sans conséquence en termes de transition défensive, là où Man City était littéralement intraitable en 2023, avec un script millimétré qui ne laissait que peu de place à l’insécurité. Tout parti pris implique un renoncement : la transition défensive du PSG, exposée à d’innombrables reprises, représente un énorme point d’interrogation. Avec des 6 libres de se projeter vers l’avant, et un système dont la base est son contour, le back3 du PSG ne peut pas se cacher au moment de gérer les contres adverses.
C’est net : le PSG vise à opérer des marquages préventifs sur ces séquences. Une sortie anticipée de chaque central, sur son référent, le temps que le bloc se remette à l’équilibre.
On retrouve cette approche à Stuttgart, où les "6" du PSG étaient particulièrement libres de se projeter : Alors que les Parisiens combinent sur le côté droit, Marquinhos prend préventivement le marquage de Undav, qui va être touché dos au but. Il prend appui sur Millot, suivi loin de sa zone par Pacho. Les Allemands vont sortir de cette pression par du petit jeu, et lorsqu’un 4e joueur se projette, ni Vitinha ni Joao Neves ne le prennent en charge.
Coup de chaud également à Brest, après une perte de balle, en claire situation de "3-0-7". Ayant d’abord le réflexe de coller Ajorque, Marquinhos est éliminé par Sima, l’ailier gauche, qui part de loin :
Des situations nécessairement appelées à se reproduire face aux profils explosifs de Liverpool… D’où l’approche jusqu’au-boutiste du coach Asturien, qui aurait 100% de possession s’il le pouvait…